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La tragédie de la plage

28 novembre 2018, 04:58

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Mars 2018. Maurice fêtait ses 50 ans d’indépendance lame dan lame. Novembre 2018, un coup de gueule relayé sur Facebook renvoie le pays entier à ses paradoxes. Lame dan lame, d’accord. Sauf sur la plage. Sauf en ce qu’il s’agit de religion. Sauf quand on paie les taxes et qu’on s’attend à un service gratuit de nettoyage. Tragique!

Cette tragédie ne s’est pas construite en un jour. Ni n’appartient à une communauté en particulier. D’où vient-elle?

En 1968, les leaders de l’indépendance se sont attelés à améliorer le bien-être matériel des Mauriciens, à sortir grand nombre d’entre nous de la misère. Ils ont fait confiance à un système libéral qui a été un succès. Qui pourrait le leur reprocher? L’inconvénient est que, 50 ans plus tard, cet impératif moral de sortir les citoyens de la misère n’est plus le même. Développement, fierté, statut social. L’impératif de développement s’est mué en une apologie de la consommation jusqu’au bout de son plaisir. Cela n’apporte pas que le progrès. Cette attitude a fait naître l’idée, chez les grands comme chez les petits, l’idée que l’exploitation des ressources communes pour son enrichissement personnel est un droit. Une idée que nous avons dans la tête. Une mentalité : ce qui est à moi est à moi; ce qui à nous est négociable.

Une mentalité qui domine le monde et mène à une tragédie qu’on aurait pu anticiper. L’année où Maurice obtenait son indépendance, l’économiste Garrett Hardin publiait un article intitulé «The Tragedy of the Commons» où il mettait en garde contre les dérives du système ultralibéral. Une société, dit-il, qui invite les individus à maximiser leur « utilité personnelle » est aussi celle qui les mène à détruire les biens communs, qui appartiennent à tous, tenus pour acquis.

Est-ce une fatalité?

En 2009, Elinor Ostrom, économiste politique de l’Université de l’Indiana aux États-Unis, proposait une piste de sortie à cette tragédie des biens communs. Une publication qui lui a valu le prix Nobel d’économie. Elle propose un modèle de gouvernance des biens communs construit sur des règles et des sanctions. À condition, dit-elle, que ces règles et sanctions aient été élaborées par les citoyens eux-mêmes, par tous les ayant-droits, gouvernement central et local, ONG, entreprises, grands et petits. Et qu’il existe des plateformes pour régler les conflits qui résultent de ces règles. Son système de gouvernance à la fois sévère et ouvert. La participation de tous permet d’éviter les dérives dictatoriales.

Et, puisque la gouvernance est le mot à la mode, si nous devions le tenir ce modèle pour benchmark de nos best practices en matière d’administration de nos plages, quelle serait notre performance?

Un constat : à Maurice, on n’aime pas les règles. On aime ‘trace-tracer’. On félicite les ‘traceurs’. Au niveau de l’administration régionale, tout reste à faire en matière de gouvernance. À commencer par lui donner le droit à l’autonomie, ce qui dérangerait les structures du pouvoir. Qu’une administration régionale puisse de son propre chef imposer une amende à un pollueur du dimanche, c’est un rêve; à un promoteur, du fantasme. Quant à l’idée que cette administration soit gérée avec l’aide des ONG, des habitants, des entreprises; c’est de la science-fiction.

À l’opposé de la gouvernance durable, à Maurice nous avons tout centralisé. Si bien que pour les projets sur le littoral, les Environmental Impact Assessments, financés par les promoteurs sont à géométrie variable. C’est souvent quand les permis sont délivrés, les contrats sont signés et les panneaux des constructeurs sont érigés que le public est averti d’un projet. S’il s’agit de contraindre un promoteur de renoncer à son projet, c’est perçu comme de la démagogie!

Et quand ça vire au drame, le forum pour régler les conflits, c’est Facebook.

Nous sommes si loin du best practice, si loin d’une gouvernance durable de nos biens communs que, dans une perspective de la gestion du risque, on penserait que toutes les entreprises verraient clignoter les voyants rouges de la durabilité. Pas du tout! Plus que jamais, vous avez encore des gens très sérieux, dans des compagnies très sérieuses, qui présentent des projets très sérieux sur la plage. Ils sortent de beaux rapports annuels pleins de discours sur les enjeux de l’environnement, de la société et de la gouvernance. Ils sortent des Risk reports que le conseil d’administration signe les yeux fermés. On les applaudit. Ils reçoivent des prix. Tout ça coûte beaucoup d’argent, ça fait de beaux cocktails. Les ministres sont invités. Et quand les projets sont bien vendus, on invite aussi les DJs, les éclairagistes, les chanteurs. On y va en jet privé. On danse, on boit, on fait éclater les feux d’artifice. On se croirait dans un roman de Fitzgerald. Avec un peu d’imagination, The Great Gatsby apparaîtrait presque au fond du jardin.

Jusqu’à ce que les gilets couleur-communautaires se réveillent. Sur une plage de styrofoam.

 

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