Il y a de ces instants où la mort oblige à se comporter de la plus civile des façons. Hier, lors des funérailles de Jayen Cuttaree, considéré comme l’homme-pont entre les travaillistes et les militants, on avait presque oublié qu’on était en alerte II. Cilida, malgré ses gouttes de pluie, n’était plus d’actualité. Les photographes de presse immortalisaient le rapprochement inopiné entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger. Les deux leaders ne sont pas affichés, ensemble, en public, depuis la terrible déroute de décembre 2014. Chacun blâmait l’autre pour la défaite de l’alliance PTr-MMM face à l’alliance Lepep. Mais, hier, alors qu’ils regagnaient leurs voitures après avoir fait leurs adieux à leur camarade, le hasard a voulu qu’ils se retrouvent côte à côte. Et, cette fois-ci, sous le ciel triste de Beau-Bassin, au lieu de s’ignorer royalement comme à l’accoutumée, ils se sont d’abord salués poliment, puis se sont mis à bavarder et à sourire, sous les regards abasourdis des autres politiciens… La hache de guerre a été vite enterrée à la faveur du terrain mou.

Parmi la petite foule massée devant Ramgoolam et Bérenger, tantôt frères ennemis ou amis intimes, l’on chuchotait que l’embellie qui se déclinait sous nos yeux devait, sans doute, être l’esquisse de la dernière alliance rouge-mauve concoctée par Cuttaree. Plus loin, Alan Ganoo restait, lui, discret, derrière le convoi mortuaire de son ami, avec qui il avait récolté les pots cassés de la dernière mésalliance rouge-mauve, bien longtemps après avoir été, tous les deux, «ministres indépendants». C’était vers la fin des années 90.

On retiendra des obsèques de Cuttaree, outre l’émotion et le chagrin des proches et amis déchirés, l’image d’une rencontre apaisée d’un groupe de politiciens qui, normalement, s’entre-déchirent. Face à la mort d’un des leurs, les politiciens semblaient avoir, enfin, saisi et interiorisé le fait que la vie ne peut pas être éternelle, même si on s’accroche au siège de leader, ou de simple député, en faisant fi de la roue du temps qui tourne, et qui nous rapproche, tous, tous les jours un peu plus, vers la mort.

Alors que l’année s’achève et qu’une autre, qui s’annonce encore plus mouvementée, commence, le terrain politique n’a pas besoin de soubresauts supplémentaires pour accentuer les déséquilibres du pays et les fanfaronnades des acteurs, tels que nous les avons vécus en 2018. Au sortir de la dépouille de Cuttaree, l’on sentait que Maurice avait grand besoin d’autres personnes pouvant négocier des consensus pour le bien commun. Quand un pays est en campagne électorale permanente, personne n’y gagne. Le dernier acte manqué : la réforme électorale, devenue une farce nationale, depuis des décennies. Car nous avons une classe politique qui se méfie de son ombre et qui n’arrive pas à minimiser ses égos.

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Et alors qu’est-ce qu’un grand homme politique à Maurice ? En page 10, Jean Claude de l’Estrac et Shirin Aumeeruddy-Cziffra, qui formaient avec Cuttaree, au numéro 19, un formidable trio, évoquent, avec nostalgie et émotion, les qualités du politicien du cœur, qui arpentait, sans garde du corps, sa circonscription pour aider les défavorisés. Aujourd’hui, hormis Alan Ganoo au numéro 14, et peut-être Rajesh Bhagwan au numéro 20, l’on ne retrouve plus vraiment cette espèce politique. Certes, chaque époque engendre définitivement ses héros et ses zéros…

Au final, un grand homme politique mauricien, disons comme SSR ou SGD, ne meurt pas vraiment dans l’imaginaire collectif, même s’il fait semblant ou pas… Ses actes, et ses écrits, parlent pour lui.