22 décembre dernier, Maurice a rendu un bel hommage à un vrai fils du sol. L’émouvant adieu de la classe politique à Jayen Cuttaree montre à quel point cet homme a marqué ses contemporains et la période post-indépendance du pays. La soudaineté de ce départ nous choque et nous bouleverse tout autant car six jours avant de tirer sa révérence, nous avons eu le privilège de le rencontrer pour un entretien (Lire plus loin). Une conversation ou devrions-nous dire un véritable partage de plus de deux heures entrecoupées d’anecdotes et de confidences sur les moments qui ont marqué sa carrière politique. En nous accueillant à sa résidence, il devait nous faire remarquer : «Vous savez, je n’ai pas accordé d’interview depuis 2010». Mais il a accepté de nous livrer sa lecture de la situation politico-économique de l’année écoulée, car «le pays souffre d’un manque aigu de débats contradictoires ». Alors que lui, il ne passe pas par quatre chemins. «Je dis exactement ce que je pense». C’est d’ailleurs ce qui l’a motivé à accepter notre proposition : de partager son analyse. Toutefois, avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous raconte son récent périple aérien d’Allemagne à Maurice. Un moment pénible mais qu’il a affronté avec beaucoup de courage surtout trois jours après avoir subi une intervention chirurgicale pour soulager une douleur aux lombaires. «Mais bon venons-en à vos questions !» nous lance-t-il pour donner le coup d’envoi de l’entretien. Méticuleux jusqu’au bout des ongles, nous découvrons au fil des anecdotes, dont il se faisait un plaisir de nous compter, un homme pétri d’une grande humilité. Cette notion malheureusement est en voie de disparition. Celui qui avait réussi à placer Maurice sur la carte du système commercial multilatéral en se positionnant comme candidat au poste de secrétaire général de l’Organisation mondiale du commerce, constate d’ailleurs avec regret qu’il y a trop d’arrogance sur la scène politique. Et de déplorer «qu’il y ait beaucoup de jeunes qui sont des opportunistes et qui n’ont en cure de l’intérêt national». Cela dit, son amour pour sa patrie l’invite à ne pas désespérer. Il met, cependant, en garde contre toute tentative de morceler la population. Il dira à cet égard qu’un éventuel exercice de recensement ethnique sera «le début de la fin de la nation mauricienne que nous disons tous vouloir construire». Au lieu de s’engager dans une voie qui mettrait en péril notre vivre-ensemble, Jayen Cuttaree estimait que la priorité des priorités devrait être la lutte contre le changement climatique. Un dernier combat qu’il voulait d’ailleurs mener. Avant son décès, Jayen Cuttaree devait nous appeler le mardi 17 décembre afin de s’assurer que tout était «Ok» pour la publication de l’interview. Et on devait le rassurer en ces termes : «Oui, on est calé pour le 27 décembre. Tou korek !» Ce fut notre dernier échange avant d’apprendre avec consternation la mauvaise nouvelle dans la soirée du mercredi. À son épouse Swatee, à ses enfants Lillka et Vickram dont il était si fier et à tous ceux que ce deuil afflige, Business Magazine présente ses plus vives sympathies.

Adieu Jayen !