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Et l’économie, ça va bien ?
C’est une petite histoire du 3 janvier qui doit sûrement se passer les autres jours de l’année, dans d’autres circonstances et dans d’autres services aussi, selon toute probabilité.
Nous sommes dans le jardin de la cour de district de Moka, Piracy Division. Six hommes bien portants étudient un mètre avec minutie. Enfin, trois d’entre eux étudient le mètre et les trois autres, que l’on présume du même groupe, regardent les autres… étudier le mètre. On semble se focaliser sur un point qui correspond à peu près à l’emplacement d’un palmier de l’île Ronde (il y en a trois dans cette petite étendue gazonnée), qui est, après conciliabule, lentement penché d’un côté, avant d’être dévidé à la base, à la pioche et enlevé. Interrogé sur le «pourquoi» de cette opération, on nous répondit que «nou pe bizin sa plas-la !» Soit !
Le point à faire ici, à nouveau, tourne autour de ce foutu mot que l’on appelle «productivité». Je ne prétends pas savoir ce que cette équipe particulière de la cour de Moka fera du temps de travail qu’il lui restera en 2019 quand il aura consommé ses «local» ou ses «sick», mais si le modèle du 3 janvier est typique et que l’on extrapole un tant soit peu libéralement, comment ne pas craindre le pire alors que les gouvernements successifs, dont l’actuel, favorisent l’image factice que l’on peut vivre au-dessus de ses moyens, bénéficier impunément de compensations salariales bien au-delà des gains de productivité et vivre allègrement avec une balance des comptes courants chroniquement déficitaire ?
Augmenter les pensions, améliorer le salaire minimum, subventionner le riz, la farine, le gaz, l’eau, rendre gratuit la santé, l’éducation, maintenant jusqu’au tertiaire, entreprendre des travaux publics gigantesques, sans trop se soucier du retour sur investissement (coûts/bénéfices) de certains de ceuxci comme le Metro Express ou les 4 000 «smart cameras» du projet Safe City, ou encore le complexe multisports de Helvetia, favoriser – comme le faisait Bheenick – une roupie plus forte que nécessaire stimulant l’importation, dépendre allègrement des flux des plus de 90 milliards de roupies de l’offshore, comme en 2017, pour renverser la balance des comptes courants déficitaire au taux de 6,6 % du PIB, tout cela créé l’illusion que c’est possible de continuer ainsi, de manière fiable et pérenne. Or, ce n’est sûrement pas possible ou pour être exact, cela est vraiment plutôt improbable.
Une note, datée du 19 décembre 2018, publiée par la Banque de Maurice, rappelle quelques réalités chiffrées. La balance commerciale est maintenant déficitaire à 22,6 % du PIB au 3e trimestre de 2018. Les importations augmentent à Rs 48,2 milliards ce dernier trimestre (+17,2 %). Les exportations sont à Rs 20,9 milliards, les marchandises exportées étant en baisse, compensées, heureusement, par une amélioration à l’item «ship stores & bunkering». C’est le gros défaut de notre cuirasse ! Notre talon d’Achille, lui, est lié à notre grande dépendance sur l’offshore, pour boucher le trou. La note du 19 décembre indique que pour la première fois depuis longtemps, nous avons aussi connu un déficit de notre balance des paiements de Rs 6,9 milliards, essentiellement dû au fait d’une baisse des balances de devises des banques avec la banque centrale. Pour l’année calendaire, ça devrait aller, mais sommes-nous en train de voir un point d’inflexion et une nouvelle tendance, à la veille de la fin de la DTAA avec l’Inde ? Ce serait vraiment notre Bérézina…
La chaude discussion entre les économistes de la MCB, les statisticiens de Statistics Mauritius et les apprentis sorciers qui parasitent «la cuisine» peut dépasser ou paraître futile à la très grande majorité des Mauriciens; un grand maximum de 0,5 % du PIB différenciant les estimations hautes des estimations plus basses pour la croissance. Ce que l’on oublie, c’est que beaucoup des dépenses enclenchées par le gouvernement dépendent de forts taux de croissance TOUS LES ANS pour repayer les nombreuses dettes que nous accumulons et/ou pour soutenir les générosités sociales qui ne cessent de progresser en dépit du bon sens, fouetté, en cela, par l’opportunisme électoral du moment.
Nous sommes arrivés à un tournant. Notre route n’est plus droite, elle est fourchue. D’un côté, un gouvernement qui engageait des dépenses débutant dans son Budget de juin 2017 sur la base d’une croissance de PIB de 4,1 % pour 2017/18, suivit de 4,5 % entre 2018 et 2020 et de 4,75 % par la suite ! Du temps de la cour des Miracles de Vishnu, on parlait même de 5,3 % ! D’autre part, les estimations plus réalistes qui sont à 3,7/3,8 % en 2018 alors que l’Economist Intelligence Unit va jusqu’à prédire une chute du taux de croissance à 3,6 % en 2019 et… 2,8 % en 2020 ! (remontant graduellement à 4,4 % en 2023, notamment grâce à des exportations requinquées. Oui, peut-être, mais comment ?). On ne sait pas si ces prévisions prennent en compte les Rs 5 milliards de la Cour internationale d’arbitrage en faveur de Betamax, mais il est clair que l’on ne peut plus bénéficier des fonds spéciaux de Rs 5,7 milliards de 2017 et que les «dons» à être reçus sont au moins aléatoires… Attention donc à la casse sur le plan du déficit budgétaire !
Ce qui nous ramène au mot «productivité». Pour rappel, la progression de notre taux de productivité multifactoriel a été de 2,4 % par an entre 1994 et 2004, chutant dramatiquement à une moyenne de 0,8 % par an dans la décade suivante. C’est la productivité du capital (à -0,5 % entre 2004-2014) qui est fautive, la productivité de la maind’oeuvre affichant +2.9 % sur la même période. Cependant, crucialement, les coûts unitaires de la main-d’oeuvre, au lieu d’être contraint par le plafond des gains de productivité dépassaient la seule productivité de la main-d’oeuvre par 0,5 % sur 2001-2007 et par un effrayant 1,4 % entre 2008 et 2014 ! Notons enfin que c’est dans l’industrie manufacturière, luttant pour sa survie, que l’on enregistre les meilleurs gains de productivité ! La NPCC constate ainsi que sur 2007-2015, la productivité de la main-d’oeuvre manufacturière progresse de 2,7 % l’an, en moyenne. Pour la productivité du capital, le progrès annuel moyen est de 4,1 %. Et pourtant, cela ne suffit pas, car les concurrents font mieux !
Nous avons été parmi les plus chaleureux soutiens du salaire minimum, parce qu’il s’agissait d’une équation avant tout humaine. Cependant si la productivité ne suit pas, que les grands équilibres économiques sont bafoués, que les bénéfices sociaux ne sont pas «means-tested», que les plans de pension ne sont pas réformés, que le déficit de la balance commerciale s’accélère, que l’on cache l’endettement public par divers subterfuges (combien coûte le «Safe City project» ?), qu’il n’y a pas de plan B à l’affaiblissement (l’affaissement !) éventuel de l’apport offshore à la balance des paiements, que le secteur public et parapublic ne devient pas plus performant, que l’on continue à promettre des «cadeaux», voire la lune, au prétexte de taux de croissance qui ne seront finalement qu’illusions et que l’on doit toujours être à 6 pour arracher un palmier un 3 janvier, alors, bonjour les dégâts !
Et qui, s’il vous plaît, passera alors à la caisse ?
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