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Esclavage : «saper» la mémoire

3 février 2019, 07:36

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«Si le Congo meurt, toute l’Afrique basculera dans la nuit de la défaite et de la servitude. Et notre sort commun se joue pour le moment, ici, au Congo. C’est ici, en effet, que se joue un nouvel acte de l’émancipation et de la réhabilitation de l’Afrique et de l’humanité…»

C ette citation de Patrice Lumumba, premier Premier ministre de la République démocratique du Congo (de juin à septembre 1960), assassiné en 1961 par des forces aussi maléfiques que celles de l’esclavage et/ou du colonialisme, demeure plus que jamais d’actualité. Surtout à l’heure où la DRC tourne, pacifiquement, la page de la dynastie Kabila – certes après avoir installé celle de Tshisekedi… elle-même issue des rangs du sanguinaire Maréchal Mobutu !  

On ne pourra pas gagner toutes les batailles en même temps. Le temps faisant son œuvre, un jour, n’importe qui, indépendamment de son patronyme ou de son ethnie ou de la fortune amassée aux dépens du peuple, pourra aspirer à prendre les rênes de cet immense pays, frappé par la malédiction des ressources naturelles. Entre-temps, dans les rues animées et colorées de Kinshasa (où pratiquement la moitié de la population a moins de 22 ans !), le calme et la bonne humeur apportent du baume au cœur des visiteurs, surpris qu’il n’y a pas eu une seule goutte de sang versée pour cette première transition politique dans ce qui a longtemps été le plus grand champ de bataille de l’Afrique sub-saharienne. Personne n’est dupe ici. Tout le monde sait qu’il y a eu un «deal pourri» entre l’ancien et le nouveau président, que de gros contrats se partagent entre deux dynasties, encore une fois dans le dos du peuple, mais chacun salue le progrès de la politique et le recul de la violence postélectorale. Les «ballots», contestés pourtant, semblent avoir pris le pas sur les «bullets» qui trop souvent prennent le continent, si complexe, en otage – et le maintiennent dans un sous-développement criard. 

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L’abolition de l’esclavage demeure un combat quotidien en RDC. Mais pas de place ici pour cette rancune transgénérationnelle contre les démons du passé ou même du présent. Les Kinois que nous rencontrons refusent de se laisser enfermer dans la Tour du Passé. Comme Fanon le disait, en aucune façon ils se sentent attachés à faire revivre une civilisation nègre : «Je ne me fais l’homme d’aucun passé [...] N’ai-je donc pas sur cette terre autre chose à faire qu’à venger les Noirs du XVIIe siècle ? [...] Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de mon peuple. Je n’ai ni le droit ni le devoir d’exiger réparation pour mes ancêtres domestiqués. [...] Vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ?» 

Les fort accueillants habitants de Kinshasa, avec qui nous avons discuté, ne se sentent pas, alors là pas du tout, esclaves de l’Esclavage ou du colonialisme qui ont pourtant déshumanisé leurs ancêtres… Pourtant, c’est bien au Congo que les pires atrocités auraient été commises. D’autres formes perdurent toujours. Mais dans ce pays qui est au moins quatre fois plus grand que la France (ou environ 80 fois la Belgique), il y a des réparateurs d’âmes, comme il y a des réparateurs de femmes mutilées par la violence des hommes.

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On ne sait pas vraiment si c’est au Congo-Kinshasa ou au CongoBrazzaville (les deux capitales les plus rapprochées au monde, séparées par un bras de fleuve) que la Sape (ou Société d’ambianceurs et des personnes élégantes) est née dans la brutalité de la colonisation. Rendue célèbre de par le monde par Papa Wemba, la Sape a su réconcilier différentes ethnies congolaises divisées par des années de guerre civiles et les occidentaux. Le sapeur kinois, comme celui de France ou des States, nous paraît animé d’une sorte de contestation, qu’il ne peut parfois exprimer qu’à travers ses vêtements. L’écrivain Alain Mabanckou l’explique ainsi : «Puisqu’on nous a refusé le pouvoir économique et le pouvoir politique, nous allons le reprendre par le pouvoir de l’exhibition du corps. Le corps devient l’élément fondamental pour opposer une résistance face au pouvoir politique, qui ne peut pas prendre le destin des jeunes en main.»

Sur place, nous avons pu vérifier cet état des choses, cette ambiance qui ponctue les quartiers populaires, malgré tous les malheurs qui se succèdent depuis l’esclavage, le colonialisme, le néocolonialisme et les politiciens/dynasties prédateurs. Et aujourd’hui de Paris à Kinshasa en passant par Abidjan, Dakar et Washington, D.C., la Sape est devenue un culte. Et quand on voit un Congolais, on sait que c’est un Congolais. D’ailleurs, le premier Sapeur, bien avant Wemba, aurait bien pu être Frederick Douglass, l’esclave le plus célèbre au monde…

Nad SIVARAMEN (du Congo)