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Oranges radiophoniques
Au caveau de Sainte-Croix, le miracle n’a pas eu lieu. Si la MBC pouvait interviewer le père Laval sur la double victoire des Jugnauth (MedPoint et Chagos), elle l’aurait fait ; ses caméras étaient prêtes. Alors qu’on croyait que ce n’était pas possible, la propagande gouvernementale parvient ces jours-ci à des sommets rarement atteints sur les ondes de la MBC. C’est sans doute lié aux premières manoeuvres des deux nouvelles radios privées qui entendent rivaliser avec la station de radiotélévision nationale en termes de flagorneries. Déjà avec le siteweb Inside News, Sunil Gohin nous montre ses talents de propagandiste – à faire enrager les autres rabatteurs, moins bien connectés avec Lakwizinn.
Avec une Independent Broadcasting Authority qui est tout sauf indépendante – c’est normal puisqu’elle est dirigée par l’ancien conseiller de Showkutally Soodhun, par ailleurs l’époux de la nièce de la speaker – il faut désormais craindre que le gouvernement, à défaut d’avoir pu transformer la MBC en BBC, tente de réaliser sa promesse électorale : «Introduire la télévision privée pour élargir l’espace médiatique.» Vous vous rendez compte une MBC bis ?!
On aurait pu espérer que l’arrivée des deux nouvelles radios allait rafraîchir la donne et diluer la rhétorique pro-Sun Trust, mais il est clair qu’aujourd’hui on se livre plutôt à une guerre entre oranges et oranges. Les ex-amis du pouvoir jalousent leurs nouveaux rivaux. Comme le marché mauricien est petit, les prébendes de l’État seront désormais divisées par cinq au lieu de trois radios privées. La plainte de Top FM contre l’IBA-Pima-Star souligne le manque de compétences au niveau des radios. D’où les débauchages par les nouveaux acteurs qui misent gros pour plaire aux seigneurs des ondes mauriciennes – c’est-à-dire à ceux qui peuplent des institutions comme l’IBA ou l’ICTA, devenues de véritables vaches à lait qui dépérissent, alors que s’engraissent ces proches du pouvoir, devenus, eux, gardiens des ondes.
Comme les Ramgoolam, les Jugnauth n’ont jamais hésité à museler la presse indépendante, ou à la priver de revenus gouvernementaux afin de privilégier la pensée unique. Ils savent aussi qu’il ne faut pas laisser l’IBA entre les mains des politiciens qui leur sont hostiles. Sinon pourquoi avoir bloqué la nomination de Joy Beeharry en 2005 (quand SAJ était président et Navin Ramgoolam PM) pour y mettre un Robin Appaya 13 ans plus tard, soit en 2018, après le départ forcé de Soodhun…
La presse mauricienne est vieille de plus de deux siècles et elle a vu beaucoup de journalistes-mercenaires sévir au gré des régimes qui changent. Ce qui nous frappe, c’est qu’à chaque fois qu’il y a rupture de consensus entre le pouvoir et le citoyen (par exemple sur cette MBC pudibonde que nous tous, contribuables, sommes obligés de nourrir, tel un parasite qui suce notre sang, avec nos factures d’électricité), la presse libre, qui est, elle, en vente libre, est vilipendée (souvent par des politiciens à Grand-Bassin).
La presse mauricienne est plurielle et peut être partiale, démagogique, sensationnelle ou propagandiste. Mais elle ne supprime pas la liberté de choisir. Sa superbe tient au fait qu’elle ne serait pas en mesure d’escamoter un verdict qui lui serait défavorable. En revanche, le pouvoir, qui est dépositaire de tant de faits, ressent ce besoin de censurer, cacher, interdire ou doser l’accès aux informations publiques… Le Dr Philippe Forget nous disait : «Lorsqu’on demande fondamentalement si la presse est un antipouvoir, il s’agit peut-être, en fait, de dire si l’État, oui ou non, est anticitoyen.» À méditer, surtout par ceux qui se battent, aujourd’hui, pour les faveurs du Sun Trust, en oubliant la conscience professionnelle du journaliste qui doit rester alors que les politiciens, eux, s’en viennent et s’en vont…
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