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Un avenir post-colonial

6 mars 2019, 04:52

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La décolonisation sera-t-elle jamais terminée ? Après l’exultation de la victoire, un air de fatalité flotte à nouveau sur les îles de l’océan Indien. L’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur les Chagos, qui donne gain de cause à Maurice, n’a pas ébranlé la détermination des Britanniques à occuper ce territoire.

Pourtant, rien ne sera comme avant. Car les changements dans la géopolitique mondiale qui ont permis cette avancée ne datent pas d’hier. Ils continuent d’influencer le cours des événements.

Il n’y a pas si longtemps, personne ne pensait que Maurice oserait mener aussi loin le dossier Chagos. La prospérité de notre pays reposait sur des accords commerciaux avec l’Europe, qui gardait un lien paternaliste sur ses anciennes colonies. Le maintien de rapports harmonieux avec les membres de l’Union européenne était de première priorité.

Tout change quand, au nom d’une logique de mondialisation compétitive, l’Union européenne décide de revoir les dispositions du protocole sucre et autres protections. Le grand frère européen jouant cavalier seul, il n’y avait, pour Maurice, plus grand intérêt à jouer le petit frère gentil et accommodant. Une stratégie qui aurait fait le pays sombrer dans l’oubli. Dès lors, la véritable puissance des Mauriciens devient leur pouvoir de nuisance !

C’est donc sans risque que le petit David mauricien s’est lancé à l’assaut du Goliath britannico-américain sur le dossier Chagos. Et a remporté auprès de la Cour internationale de justice une victoire de droit qui campe désormais sa légitimité morale.

Que vaut une légitimité morale ? Certainement pas grand-chose dans un monde qui serait aux prises avec des États belliqueux qui règleraient leurs conflits par la force militaire. Mais le règlement militaire des conflits est le choix du dernier recours. Avant, il y a le droit international.

Le droit international, c’est le bébé de l’Occident. Il y prône une vision du monde où les conflits et la direction se règlent entre gentlemen bien élevés. Faire vivre cette idée suppose à la fois de s’en faire le champion et d’en financer le maintien. Or, les États-Unis affichent ouvertement leur intention de s’en émanciper. Et les nouvelles forces économiques (telles la Chine et l’Inde) réclament leur voix à la décision. Une présence illégale des Britanniques aux Chagos ne ferait qu’affaiblir le poids de l’Occident dans la communauté internationale.

Dans un monde où les États prennent tantôt les habits de gentlemen, tantôt les méthodes de voyous, Maurice est monté d’un rang au club des gentlemen. Le fait d’exercer une légitimité territoriale sur les Chagos suffit à nous positionner comme acteur de la prise de décision. Cela veut dire que nous serons sollicités pour des appuis diplomatiques par des puissances émergentes qui entendent construire leur propre légitimité sur ce même système de droit international. Et que nous devrons, nous aussi, solliciter l’appui de ces puissances si nous voulons demeurer crédibles dans nos revendications territoriales.

L’art de la diplomatie mauricienne sera de gérer ce jeu de sollicitations, afin d’en tirer le maximum de bénéfices économiques. Une légitimité territoriale sur les Chagos nous donne voix au chapitre en ce qui concerne la gestion du nord de l’océan Indien, où le volume du commerce et les enjeux pétroliers sont colossaux. Plus récemment, les enjeux se sont aussi déplacés dans le sud de l’océan Indien. Le but est d’y contrôler les flux commerciaux. Mais surtout, et c’est ce qui est nouveau, d’assurer la mainmise sur les ressources marines. À un moment où les scientifiques ne cessent d’avertir qu’un effondrement écologique pourrait entraîner la plus grave crise alimentaire que la planète ait jamais connue.

Dans ce contexte, qu’avons-nous à proposer ? Contre quoi sommes-nous prêts à marchander notre soutien ou notre refus de soutien à ces puissances ? Avons-nous une stratégie bien formulée et réaliste ?

Dans ce rapport de force, notre plus grande faiblesse est notre méconnaissance des enjeux plus globaux. Nous avons cru à un monde post-colonial de liberté et de croissance infinie. Cette croyance a fait notre prospérité, tant que les ressources mondiales étaient abondantes. Or, ce monde n’existe plus. Le monde post-colonial est, à l’image de l’époque qui l’a précédé, un monde de conflit pour l’accès aux ressources. À la différence que ces ressources sont de plus en plus rares. Et que le miracle sera d’accéder demain à autant de ressources qu’aujourd’hui.

Pour notre part, nous avons encore tendance à nier cette nouvelle donne. Nous préférons croire aux miracles, surtout quand ils sont bleus et économiques. Ce décalage avec la réalité fait de Maurice une proie facile en diplomatie. C’est ce qui pourrait nous faire perdre à nouveau ce que nous venons tout juste de gagner avec le dossier Chagos. Un peu comme lors des négociations de 1967.

 

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