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Technologie et pouvoir

20 mars 2019, 03:45

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Technologie et pouvoir

«Le mariage nécessite de tomber amoureux plusieurs fois, toujours de la même personne…» Cette citation de la journaliste américaine Mignon Mc Laughlin me fait penser à ces entreprises mauriciennes. Des entreprises souvent à bout de nouveau souffle. À la recherche de nouveaux «business models». 

Un «business model», c’est comme le mariage. Simple à imaginer. Compliqué à réaliser. 

Tout l’art du business model est de trouver le bon matching entre les produits et les marchés. Et d’entretenir les relations humaines qui permettent de vendre et de produire les biens et services. Or, les relations humaines, en affaires, sont tissées de jeux de pouvoir.
 
Entre le client et l’entreprise. Entre l’entreprise et ses concurrents. Remettre son business model sur le tapis, c’est renégocier tout un réseau de relations de pouvoir. Ces relations de pouvoir sont brutalement bousculées. L’avènement des nouvelles technologies de l’information a ébranlé l’ordre du monde. Des entreprises gigantesques, maîtresses des technologies, fixent désormais les termes de l’offre et de la demande. L’avance technologique leur permet d’éliminer la concurrence. En clair, l’environnement n’est plus compétitif mais oligopolistique. Un environnement qui avale tout, même les niches. Un environnement qui laisse peu de place aux petits intervenants. 

Sans surprise, les premières entreprises mauriciennes à avoir pris la mesure de ce nouvel ordre du monde sont celles les plus ouvertes sur le monde. Les grands noms du textile ont pris à bras le corps la logique de taille. Ils survivent encore, mais pas forcément à Maurice. Les entreprises qui ont opté pour des stratégies de niche sont tombées. Le succès d’une entreprise ne fait pas nécessairement celui de son pays. 

Si la niche est vouée à l’échec, c’est que la technologie permet aux entreprises qui l’ont adoptée de dessiner des stratégies polyvalentes. Adaptées à servir, mieux que quiconque, toutes les clientèles. Les leaders gèrent ces relations de pouvoir avec des algorithmes. Précis. Froids. Amazon vous vend à la fois le best-seller et le livre le plus rare. Emirates comprend le comportement de tous les voyageurs, même celui des micromarchés mauriciens. 

Si l’on en croit le cabinet américain Gartner, leader de la transformation digitale, cette vague technologique s’apprête à déferler sur un autre secteur où les Mauriciens comptent faire de l’argent : les services financiers. Gartner anticipe que 80 % des institutions financières de petite et moyenne tailles seront avalées par les plus grandes d’ici 2030. 

La suite, elle est cynique. Moins de marques et rétrécissement naturel de l’offre. 

Nous, les Mauriciens, ne semblons pas avoir pris la mesure de ces nouveaux rapports de force. Tout se passe comme si nous croyions encore à ce monde de compétition parfaite qu’on nous a vendu. Un monde scolaire dans lequel nous sommes censés avoir une juste place. Nous avons des stratégies de promotion et de développement (de fiançailles). Nous ricanons naïvement quand l’humanoïde Sophia parle créole. Mais quelles sont nos stratégies pour parer aux assauts des mastodontes ? Une stratégie qui ne serait pas construite dans la croyance naïve des bienfaits d’une compétition parfaite ? Rien n’est moins clair. À écouter le discours actuel, tout se passe comme si les entreprises mauriciennes étaient des proies faciles à jeter en pâture à des maris violents. 

Si nous ne réfléchissons pas aux termes des relations entre le «cluster» tourisme avec Expedia, Emirates, Booking.com, Hotels.com, Airbnb, nous ne ferons que créer de la valeur ajoutée qu’ils se chargeront d’écrémer. Si nous ne comprenons pas que la concurrence bancaire se jouera sur le plan de la technologie, pas du service. Si nous pensons qu’Amazon ne vendra que des livres rares, pas de l’électroménager et des légumes, nous sommes dans l’égarement. Les leaders de la technologie sont conçus pour écrémer la valeur ajoutée créée par d’autres. 

Le temps est venu de penser aux conséquences de l’avancée oligopolistique du monde. Et de ses nouvelles relations de pouvoir. De penser en quoi ces changements bouleversent les rapports de force dans la société. En quoi ces changements nous invitent à revoir nos lois syndicales, la réglementation des secteurs d’activités, la répartition des rôles et des pouvoirs dans la société. 

Technologie et pouvoir. «Business models» d’entreprises et modèles économiques nationaux. Il est temps de se réapproprier les conversations qui fâchent pour faire durer le mariage entre les Mauriciens et leur économie. Autrement que par la résignation…

 

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