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Shakespeare dans les champs

3 avril 2019, 04:00

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Dans le secteur sucre mauricien, on compte les pertes : Rs 326 millions pour Terra, Rs 365 millions pour Omnicane et Rs 304 millions pour Alteo. Depuis, le prix du sucre ne s’est pas relevé. Dans l’industrie sucrière, on ne crie plus au loup. On crie aux politiciens.

«Bold», «urgent», on ne lésine plus sur les adjectifs pour réclamer un cadre légal plus flexible et des mesures d’accompagnement. C’est comme si on attendait Superman. Sauf qu’en année préélectorale, Superman se fait attendre. Plus l’échéance électorale approche, plus s’amenuisent les chances de salut. La cape de Superman pourrait bien rester aux vestiaires. 

Pendant ce temps, dans ces mêmes vestiaires où germent les ambitions des politiciens bien nés, les plus audacieux s’approprient des rôles shakespeariens. Dans leur perspective, le pays est peuplé de bandes rivales. À leurs yeux, les grands barons et les petits planteurs sont génétiquement et historiquement condamnés à s’entredéchirer, telles les familles des Capulets et Montaigus dans Roméo et Juliette. 

À chaque échéance électorale, on reprend les mêmes discours. Mais on change les chiffres. Il ne reste plus que trois barons. Trois groupes, certes, plus puissants que jamais, qui s’accrochent à leurs usines pour mieux sauvegarder leurs centrales énergétiques. Celles-ci, par ailleurs, se portent très bien. Grâce à ces centrales, un avenir sans sucre s’imaginerait aisément. Il suffirait de n’alimenter les centrales qu’au charbon, comme en entrecoupe. (Nous y sommes presque, c’est un secret de Polichinelle). La demande du CEB est si forte, et le CEB lui-même, si peu enclin à produire de l’énergie, qu’à ce jour, pour y répondre, les deux tiers de l’énergie produite émanent du charbon. La bagasse ne représente plus que le tiers restant. 

Un scénario 100 % charbon n’est pourtant pas envisageable. Il affaiblirait la rhétorique verte qui a mené à la création des centrales. Sur le plan mondial, le charbon, ennemi du climat, est une industrie qui entame son déclin. La canne, comme élément qui verdit le charbon, et justifie politiquement la sous-traitance de la production d’énergie, reste essentielle dans un business model industriel durable. 

Le hic est que, pour produire de la canne, il faut des planteurs. Et tous ceux qui ne sont pas usiniers, tous les autres, grands et petits, sont «planteurs». Quant à les compter, c’est plus hasardeux. Faut-il encore s’accorder sur la définition ! Pour le Larousse, un planteur est celui qui «possède et exploite une plantation dans les tropiques». À Maurice, certains sont planteurs et d’autres pas. Certains plantent vraiment. D’autres sont des possédants bureaucrates qui touchent un revenu du travail des laboureurs sans terres. Ils ne sont pas planteurs; ils sont rentiers. Au fait, ils ne se préoccupent ni de l’état de la canne, ni de celui la bagasse, mais de l’état de leurs rentes. 

Le défi aujourd’hui est de convaincre les possédants, véritables planteurs ou rentiers, gros et petits, de rester ou de redevenir planteurs. Pour cela, les revenus des ventes de cannes devraient couvrir les charges d’exploitation des terres cultivées. Ce qui sera possible le jour où les coûts et les prix de vente seront en adéquation. Rémunérer les planteurs pour leur contribution à la bagasse est une option équitable. 

À condition… que la bagasse soit encore dans le business model. Rien n’est moins sûr. Pour faire de la bagasse, il faut que tournent des usines rentables. Pour cela, les usiniers devraient aussi vendre du sucre. Et le sucre ne se vend qu’à Rs 7 500 la tonne. À ce prix, il faudrait un volume extraordinaire pour être rentable. 

Or, quand les prix baissent, les volumes aussi glissent vers le bas. À de tels prix, les planteurs rentiers, grands et petits, imaginent tous les futurs possibles pour leurs champs : immobilier, énergie photovoltaïque, macadamia, vanille, champignon et permaculture. Toutes ces options sont en rivalité avec le business model cannier-usinier. Toutes susceptibles d’affaiblir davantage le modèle cannier-usinier en le privant de son volume existentiel. 

Une tendance qui ne fera que s’accélérer si Shakespeare fait des émules. Car une chose est sûre : pour les dramaturges shakespeariens qui sèment la division, l’histoire a déjà été écrite. Elle finit au cimetière. 

Dans le secteur cannier, les véritables héros, ce sont les planteurs. Les vrais. Tous les planteurs réunis. Tous ceux qui savent que ce n’est qu’ensemble et solidairement qu’ils pourront apporter le volume nécessaire pour obtenir une rémunération durable sur le sucre et la bagasse. En attendant Superman, évidemment…

 

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