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Quand les éléphants se battent…

26 mai 2019, 07:15

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lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Il y a eu un tremblement de terre sur la planète Tech cette semaine dont les secousses se font sentir chez nous. Le géant chinois Huawei ne pourrait plus utiliser le système Androïd et les services de Google (Gmail, YouTube, Chrome, YouTube, Google Maps, etc.) sur ses smartphones de plus en plus sophistiqués et prisés. Cette décision a été prise sur toile de fond de la guerre commerciale entre Washington et Beijing, plus particulièrement sur le terrain futuriste de la 5G.

Alors que Huawei nous est présentée par le gouvernement de Pravind Jugnauth comme un partenaire privilégié pour l’inquiétant projet Safe City, avec ses milliards d’investissement et ses caméras et technologies de pointe, la firme chinoise serait perçue comme une menace à la «sécurité nationale» aux États-Unis. Où elle est soupçonnée d’espionnage et de vol de technologie – d’où la décision d’interdire au géant chinois des télécoms de participer à des appels d’offres sur le sol américain, bien avant que sa directrice financière ne soit arrêtée au Canada le 1er décembre 2018.

«By the authority vested in me, I, Donald J. Trump, President of the United States of America, find that foreign adversaries are increasingly creating and exploiting vulnerabilities in information and communications technology and services, which store and communicate vast amounts of sensitive information, facilitate the digital economy, and support critical infrastructure and vital emergency services, in order to commit malicious cyber-enabled actions, including economic and industrial espionage against the United States and its people», écrit Donald Trump, dans le décret de la Maison Blanche, émis le 15 mai dernier.

Et il aura suffi de quelques jours pour que l’autre géant, l’Américain Google, fournisseur du système Android qui équipe la plupart des téléphones mobiles dans le monde – si vous n’utilisez pas un iPhone, vous utilisez donc Android – suive la consigne de Trump et annonce sa rupture avec Huawei. Dès lors, les experts se sont tous demandé si Google pourrait facilement conjuguer sans Huawei, ou est-ce que Huawei, elle, pourrait continuer son extraordinaire parcours mondial – en quelques années, le géant chinois s’est placé en deuxième position mondiale derrière le Coréen Samsung, se permettant le luxe de devancer l’Américain Apple.

«We will certainly be able to continue serving our customers. Our production capacity is huge, and adding Huawei to the Entity List won’t have a huge impact on us. We are making progress in bidding worldwide», a réagi promptement Ren Zhengfei, Huawei Founder and CEO, qui tente de minimiser les effets du décret US sur son groupe.

L’affrontement entre les deux géants mondiaux est d’autre part une caractéristique du monde d’aujourd’hui où tout est interrelié : matériaux d’équipements et réserves naturelles, accords, brevets, hardware et software, les relations ambiguës, souvent incestueuses entre la Chine, ses dirigeants du parti communiste et ses firmes privées d’une part, et entre la Chine et l’Occident de l’autre. «China and the US are both vulnerable and heavily dependent on each other: Today it is impossible for any country to try to achieve technological autarchy. But this struggle is not really about technology at all. It is about dominance on upcoming 5G technology who will change pretty much the way we currently do business», nous faisait observer un expert de la Silicon Valley.

Une autre lentille qu’on pourrait utiliser pour comprendre le conflit Google-Huawei, qui est par procuration une guerre ouverte entre les États-Unis et la Chine, focaliserait sur le repli technologique américain. Depuis plusieurs années, Washington a fait du contrôle des données l’axe prioritaire de sa stratégie économique centrée autour de ses géants de la Silicon Valley et de sa stratégie de sécurité. Ces deux éléments étaient contenus dans une longue tradition d’open door policy , symbolisée par Barack Obama. Trump vient, lui, fermer et verrouiller la porte au nez des Chinois envahisseurs.

Si dans la Silicon Valley on reconnaît la force de frappe de Huawei, on estime par ailleurs que c’est précisément sa taille qui va retarder le géant, bien moins agile que les start-ups de Californie (les GAFA et leurs rejetons ont tous démarré sur une base expérimentale ou dans des garages ou dortoirs). «Huawei is one of the rare companies big enough that it could develop its own replacement for the whole Google ecosystem. It has already had to do so for the Chinese local market. But to produce something that could compete outside China will take years and may prove impossible», nous expliquait Sebastian Chen, notre guide à la Silicon Valley, en mai dernier.

Si à Maurice le projet Safe City soulève, à raison, pas mal de questions de la part de la société civile, c’est parce que partout au monde, les équipements télécoms sont particulièrement sensibles, car conçus pour la surveillance. L’élément de confiance se doit d’être absolu. Les tâtonnements notés pour présenter ce projet au public et les non-réponses au Parlement n’aident pas à rassurer, surtout lorsque le ministre Yogida Sawmynaden, un peu comme Collendavelloo avait fait dans le cas d’Alvaro Sobrinho, vous répond, en substance, et avec la plus grande suffisance : «Huawei n’a pas encore été condamnée, donc circulez il n’y a rien à voir.» Pas de débat !

Il y a trois ans, nous avons eu la chance de découvrir le campus de Huawei à Shenzen, petit village de pêcheurs transformé en l’espace d’une décennie en une spectaculaire smart city. Sur place, nous avons pu constater que Huawei n’est non seulement le no2 mondial du marché des smartphones, mais que c’est aussi et surtout l’un des leaders de l’équipement des réseaux mobiles, et qu’elle avait pris une sacrée avance sur le reste du monde pour fabriquer la colonne vertébrale du réseau 5G : des centaines de milliers de mini-antennes relais («small cells») qui tels des champignons ont poussé un peu partout dans sa smart city. Et quand on a demandé à quoi cela servait, l’on nous a répondu : «We are building tomorrow. Our goal is to take the lead in research, innovation, and implementation.» Si aux États-Unis, la porte est désormais fermée, celle de la petite île Maurice reste ouverte, mais c’est loin d’être suffisant pour l’appétit d’ogre de Huawei. À charge pour nous de ne pas nous faire écraser comme de vulgaires fourmis insulaires, surtout à un moment où nous ambitionnons d’arracher un loyer, des Yankees, pour Diego Garcia.