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Bet-A-Max!

5 juin 2019, 07:10

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Qu’il s’agisse de MedPoint ou de Betamax, personne n’est dupe. Ce sont des affaires politico-financières tributaires de nos alliances et mésalliances politiciennes. Au-delà des «triangages» de deux beaux-frères de politiciens, il s’agit, dans les deux cas, d’une guerre sans merci entre le Mouvement socialiste militant (MSM) et le Parti travailliste (PTr). Cette guerre de pouvoir et d’argent s’amplifie avec l’approche des prochaines élections générales. Entre-temps, tous les coups sont permis ; les institutions et nos fonctionnaires sont entraînés dans ce double règlement de comptes.

Après l’arbitrage singapourien qui a été rejeté (même si nos contribuables peuvent pousser un ouf de soulagement, ce n’est, par ailleurs, pas une bonne chose pour la réputation d’un pays qui veut être reconnu comme un centre financier), la Cour suprême indienne, après notre Cour suprême, essaie de démêler l’écheveau Betamax. La situation est rendue complexe par le fait que le PTr et le MSM, ennemis jurés aujourd’hui, étaient mariés hier et se sont sûrement échangé des confidences dans leur lit de noces. Quand le deal a été signé à la hâte avec le groupe Bhunjun en novembre 2009 – avant même que le comité ministériel présidé par Xavier Duval ait pu soumettre ses recommandations –, il y a eu plusieurs autres acteurs, outre Navin Ramgoolam et les Jugnauth : les ministres travaillistes Anil Bachoo et Mahen Gowressoo (qui étaient à couteaux tirés sur le dossier), le ministre des Finances était Rama Sithanen et l’Attorney General, Rama Valayden. Le MSM ne pipait pas mot à l’époque parce qu’il y avait un rapprochement avec les rouges dans le sillage des élections de 2010, à la suite desquelles les orange font leur entrée au gouvernement de Ramgoolam (mai 2010). Le MSM se contentait alors, par la voix de Showkutally Soodhun, de défendre bec et ongles le dossier Betamax/ Red Eagle au Parlement (10 août 2010).

En août 2011, le MSM, après quelque 15 mois au pouvoir, claque la porte du gouvernement Ramgoolam, mécontent de la tournure qu’avait prise l’affaire MedPoint. Dès lors, le MSM fait campagne contre le PTr et le deal Betamax. Ensuite, il y a eu la campagne Viré Mam, et l’alliance Lepep, impréparée pour gouverner, arrache le pouvoir et entend jeter Ramgoolam en prison et déchirer le contrat Betamax (comme promis lors de la campagne électorale de 2014).

Selon les Jugnauth, l’objectif premier dans l’affaire Betamax n’était pas de punir les coupables mais de faire revenir dans les caisses de l’État des milliards de roupies. Comme les gains attendus par les propriétaires du Red Eagle sont jugés illicites par le nouveau pouvoir (qui entend se venger de l’affaire MedPoint), le contrat pour le transport de carburant à bord de ce tanker devait donc être renégocié. En vain, car la confiance n’y était pas entre le gouvernement Lepep et le groupe de Veekram Bhunjun. SAJ qualifiait, du reste, les faveurs faites à Betamax de «dilapidation de fonds publics». Selon les conseillers du gouvernement, les faits allégués dans cette affaire «relèvent, au mieux, d’une mauvaise gestion des ressources de l’État et, au pire, d’un détournement de l’argent des contribuables». L’on expliquait que le navire de Betamax avait coûté US $ 58 millions mais était loué à la STC pour un montant annuel de US $ 17,6 millions.

Le pire, en fait (surtout pour nous contribuables), c’est qu’une proposition de la Mauritius Shipping Corporation d’acheter, au nom de l’État (et non pas au nom des beaux-frères ou cousins), un navire pour le transport des carburants a été rangé aux calendes grecques – avant que l’idée ne soit reprise par un proche du pouvoir, qui s’était improvisé armateur.

Cependant, comme dans le cas de la BAI, l’urgence et l’esprit de vengeance pour arrêter «l’hémorragie des fonds publics» laissent des séquelles. Et aujourd’hui, après le jugement de la Cour suprême, l’on assiste à une séance de «pas boul» entre anciens et nouveaux politiciens, entre le DPP, le bureau de l’Attorney General (où sont passés Rama Valayden, Yatin Varma, Ravi Yerrigadoo et Maneesh Gobin), et la police de Nobin.

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La conférence de presse de Maneesh Gobin, samedi, au cours de laquelle il a tiré à boulets rouges sur le DPP, ne choque plus l’opinion, tant on aura compris l’aversion du présent régime contre la personne de Me Satyajit Boolell. Mais, au-delà des personnes, le respect des institutions et la séparation des pouvoirs doivent primer. L’Attorney General Gobin ne réalise pas que c’est son propre bureau qui a validé le contrat Betamax en 2009. Clairement, en voulant la peau de Ramgoolam, il cherche à politiser cette affaire davantage qu’elle ne l’est déjà – et confond le Rule of Law avec les arguments qu’on balance quand on est sur des caissons de camion… En fait, la campagne électorale a déjà commencé. Le Budget, le Metro Express, les Jeux des îles et les relations avec les Britanniques autour des Chagos ne sont que les prochains épisodes de notre triste saga quotidienne…