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#J-23 : Comique et épique

15 octobre 2019, 07:40

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La farouche détermination affichée au moment de la dissolution du Parlement laisse peu à peu place à une timide improvisation dans le camp gouvernemental. Deux exemples interpellent. Au n°13, l’ex-mauve, devenu orange, Zouberr Joomaye, a pété un câble lors d’une réunion nocturne à Grand-Bois, nous donnant à voir une facette méconnue de sa personnalité. Le lendemain, remis de ses émotions, Joomaye faisait tranquillement du porte-à-porte, à Tyack, quand il a reçu un appel (apparemment du PMO) l’informant qu’il a été muté au n°2, où le lendemain il a repris son exercice de porte-à-porte, en s’efforçant de sourire, comme si de rien n’était. Sauf que le clip démontrant son dérapage avait fait le tour de l’île avant lui !

S’agissant du deuxième cas, franchement, l’on ne sait pas s’il nous faut en rire ou en pleurer. Après avoir été sélectionné par les stratèges du MSM, le Dr Dev Kowlessur a disparu du n°12. Le Sun Trust a choisi de le faire disparaître de la scène car le novice en politique, visiblement fébrile lors d’un congrès de l’Alliance Morisien à Mahébourg, a eu le malheur de mélanger, lors de son tout premier discours, les prénoms du père et du fils Jugnauth. En voulant saluer le Premier ministre, il a lâché : «Anerood Kumar Jugnauth», déclenchant un rire généralisé dans la salle, mais embarrassant singulièrement le fils (qui tente laborieusement de se démarquer de son père).

D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que le Premier ministre sortant s’offusque, tel un monarque d’antan, à cause de son prénom – qu’il ne faut surtout pas écorcher. Parce qu’ils avaient oublié de mettre un «d» dans P-r-av- i-n-d, le fils de SAJ n’avait-il pas refusé de se rendre à la réunion des petits planteurs – un mauvais prétexte qui risque de lui coûter cher dans certaines circonscriptions rurales ?

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Normalement, dans une démocratie où l’indépendance des institutions est garantie, la déposition de Me Akil Bissessur à l’ICAC, par rapport au SerenityGate, aurait provoqué un sursaut. Mais chez nous cela résonne comme un énième coup d’épée dans l’eau car la commission anti-corruption s’est érigée comme le défenseur du pouvoir en place.

Le «U-Turn» de l’ICAC de Navin Beekarry dans l’affaire MedPoint au Privy Council restera du reste dans les annales. L’on se souviendra qu’en janvier 2019, soit deux mois avant l’audition devant les Law Lords, la commission anti-corruption devait décider de se ranger du côté de Pravind Jugnauth – celuilà même qu’elle poursuivait sous la Prevention of Corruption Act (PoCA).

En neuf mois, c’est-à-dire entre le 6 février 2018 et le 22 novembre 2018, l’ICAC de Beekarry (un nominé politique des Jugnauth) a changé sa position dans ce procès (déterminant pour la dynastie Jugnauth) afin d’affaiblir la position du DPP. Celui-ci voulait clarifier, une fois pour toutes, et précisément au-delà des considérations politiciennes de chez nous, l’article 13 de la PoCA.

Dans pareil contexte, comment croyez-vous que l’ICAC se penchera, cette fois-ci, sur le SerenityGate, surtout en pleine campagne électorale. Comme c’était le cas avec nous lors du Yerrigadoogate, les enquêteurs vont faire semblant de vous recevoir, vont remplir avec tout leur sérieux plusieurs formulaires et dépositions, mais ne feront rien ensuite. Le dossier à charge restera enfermé à double tour, probablement dans le même tiroir où dorment les files Choomka et Sumputh…

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Si, en 2014, Pravind Jugnauth nous défendait contre le tandem Ramgoolam-Bérenger dans le sillage de la publication des photos de Nandanee Soornack (dansant le sega avec le PM d’alors), aujourd’hui, le Premier ministre tire à boulets rouges sur la presse (qui ne s’agenouille pas devant lui) et encourage des sous-entendus, sous la ceinture, contre son challenger. À saluer, ici, le coming out de Veena Ramgoolam, qui vient à la rescousse de son époux et… de sa patrie. De quoi faire taire les esprits malicieux officiant au Sun Trust !

Il est important de rappeler que nous concevons notre métier de journaliste comme un combat en faveur des idées, et non pas contre ou pour des hommes ou des femmes. Un journaliste libre, qui évoque le SerenityGate car il a reçu des documents, joue le rôle d’un historien du jour, au service des faits, de la vérité – aussi complexe, dérangeante et nébuleuse soit elle.

Notre but n’est pas de vous plaire, Monsieur Jugnauth ou Monsieur Ramgoolam ou encore Monsieur Bérenger, mais d’éclairer l’opinion – pour qu’elle puisse, elle, décider, choisir et agir, en toute liberté. Malgré les précautions d’usage, il peut nous arriver, surtout en l’absence d’une Freedom of Information Act, de nous tromper. Mais face aux faits honnêtes et têtus, alors, nous devons – en fait, nous ne pouvons – que faire amende honorable.

Pour rappel, les quatre commandements du journaliste libre, selon Albert Camus, sont l’ironie, la lucidité, le refus et l’obstination : qualités alliées à une indépendance vis-à-vis des puissances de l’argent et du pouvoir politique : «Le droit à l’information n’est pas un privilège des journalistes, c’est un droit des citoyens.» Cette citation de l’écrivain-journaliste donne joliment la vision subversive et citoyenne du journalisme libre, du moins celui que nous défendons, n’en déplaise aux princes qui nous gouverne(ro)nt.