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Après le 8 novembre…

4 novembre 2019, 10:33

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Quelle que soit l’issue finale du scrutin, une chose est certaine : Maurice entrera vendredi soir – et sans doute pour plusieurs années encore – dans une phase délicate, marquée par une grande instabilité, d’abord politique ensuite immanquablement économique.

Sur le plan politique, la lutte à trois que nous vivons, dure, impitoyable, souvent odieuse, marquée par une hargne sans précédent, pourrait bien se payer au prix d’une incertitude et d’une fragilité chroniques, surtout s’il n’y a pas de claire majorité parlementaire qui émerge.

Cette élection va provoquer de nouveaux rapports de force qui changeront durablement la carte politique du pays. À voir le ton de cette campagne, l’accumulation de coups bas, la bassesse des arguments, l’élection alimentera certainement une volonté permanente de revanche et laissera, dans les rapports personnels entre nos chefs, des cicatrices qui pourraient bien ne pas se refermer aisément. Tout ceci pourrait compromettre l’espoir d’un retour rapide à une certaine normalité démocratique.

Sur le plan économique, la spirale de promesses ajoutera plusieurs dizaines de milliards au Budget courant national. L’injection massive de fonds publics dans les bénéfices sociaux accrus alimentera une consommation publique déjà excessive. Elle creusera brusquement les déficits publics et pourrait bien requérir des changements importants dans la politique fiscale du pays. Par ailleurs, les investisseurs locaux ou internationaux n’aiment pas les tensions sociales, la surenchère et l’imprévisibilité. Si elle n’y prend garde, l’île Maurice pourrait donc devenir moins attrayante aux yeux du monde, perdre un de ses principaux arguments de vente et affecter son image de pays sérieux et fiable.

Les Mauriciens iront se coucher, vendredi, avec une des quatre situations suivantes :

1. Une majorité parlementaire nette (36 sièges) sera sortie des urnes et de la distribution des Best Loser seats. Un gouvernement légitime se mettrait alors en place en vue d’appliquer son programme. Compte tenu de l’âpreté du combat MSM-PTr, ce scénario paraît de moins en moins vraisemblable. Il suppose qu’une des deux alliances s’écroule en fin de parcours, avec des transferts massifs de loyauté, ce qui paraît improbable. Par ailleurs, la progression largement perceptible du MMM ces jours-ci change la donne : avec une douzaine d’élus MMM, tout reste encore possible pour les deux alliances.

Avec une vingtaine de sièges MMM, il reste bien moins de sièges au PTr et au MSM pour espérer atteindre une majorité absolue. Enfin, le MMM n’exclut plus désormais de terminer premier en termes de sièges. S’il y a une majorité parlementaire, avec la lutte à trois, elle sera faible, fragile (deux à trois sièges) et tout parti de gouvernement dans cette position serait confronté à deux forces ennemies redoutables qui le prendraient en tenaille. C’est l’instabilité garantie.

2. Si aucun des trois grands partis n’obtient une outright majority, le président de la République demanderait alors au leader du parti disposant du plus grand nombre de sièges de tenter de constituer un gouvernement de coalition avec un ou plusieurs autres partis représentés au Parlement. Si cette tentative échouait, le président se tournerait alors vers les autres partis pour leur proposer le même exercice. Or, compte tenu des positions prises pendant la campagne, MSM, PTr et MMM redoutent d’avoir à ravaler leurs insultes et à conclure une alliance qui pourrait bien être impopulaire Une coalition post-électorale est, en effet, plus vite évoquée que réalisée. Si Paul Bérenger est le «joker» et que Pravind Jugnauth et Navin Ramgoolam se retrouvent quémandeurs d’alliance post-électorale, le leader du MMM deviendrait particulièrement exigeant. Une sourde animosité pourrait bien marquer toute coalition conclue de force.

3. Si cette coalition post-électorale s’avérait, à son tour, impossible à réaliser, un des grands partis pourrait offrir de constituer un «Gouvernement MINORITAIRE», soutenu ponctuellement DE L’EXTÉRIEUR des bancs gouvernementaux par d’autres partis ou individus. Cet «arrangement» interviendrait, le cas échéant, sur la base d’un soutien limité, au coup-par-coup, d’un programme spécifique, avec un accord reposant essentiellement sur un engagement des alliés extérieurs à ne pas voter une motion de censure («No confidence vote»). Ceci pourrait permettre à un gouvernement minoritaire de diriger au jour le jour, de faire voter un Budget et certains projets de loi mais dans une atmosphère d’instabilité chronique et de négociations et supplications permanentes, probablement avec la tentation irrésistible de débauchage et de transfugisme. Cette expérience serait une première, sans doute dangereuse pour Maurice. Elle pourrait devenir un cauchemar.

4. Enfin, si même cette formule de gouvernement minoritaire ne devait pas marcher après quelque temps, le président de la République conserverait l’option de rappeler le pays aux urnes pour remettre la décision finale entre les mains de l’électorat et tenter le briser tout deadlock. Maurice pourrait alors entrer dans un cycle infernal de dissolutions et d’élections générales à répétition. Imagine-t-on deux élections générales à quelques mois d’intervalle, après celles que nous venons de vivre ? Et l’économie dans tout cela ?

 

Où que l’on regarde, on ne voit donc que risques et incertitudes. Sans préjuger de l’issue finale du scrutin et sans exclure la possibilité qu’un camp dispose effectivement d’une majorité, il importe de commencer à réfléchir sérieusement à la perspective d’une coalition post-électorale. Cette option pourrait bien s’imposer comme numériquement nécessaire, sinon pratiquement impérative. En l’état actuel des choses, plusieurs considérations pousseraient vers une telle coalition.

1. Indépendamment des résultats politiques, l’État doit continuer à tourner, l’Administration publique doit fonctionner, les responsabilités ministérielles doivent être assumées, un Budget voté et les factures payées pour ne pas enrayer la machinerie gouvernementale. Ce n’est qu’ainsi qu’est assurée la permanence de l’État. La vie de la cité doit être organisée, planifiée. L’alternative, c’est le chaos !

 2. Aucun parti politique ne peut espérer gouverner une société aussi complexe que la nôtre en disposant de seulement 30 à 35 % de soutien populaire, soit avec 60 à 70 % du pays contre lui. Gouverner l’île Maurice avec un mandat clair et une majorité parlementaire incontestable n’est déjà pas, en temps normal, une simple affaire !

 Face à l’accumulation des défis économiques internationaux et locaux qui nous guettent, face au besoin de rassembler la nation après cette élection dure et haineuse, il nous faudra en 2020 un gouvernement déterminé, avec des priorités bien définies, capable de prendre des décisions courageuses et non un gouvernement timoré et lâche, regardant constamment au-dessus de son épaule, vulnérable aux chantages, hanté par l’obsession de défections et soumis à la vénalité des transfuges potentiels.

3. Enfin, tout gouvernement devra pouvoir s’assurer que les divers intérêts en présence à Maurice soient adéquatement représentés pour garantir l’harmonie sociale, maintenir le vivre ensemble mauricien et obtenir la collaboration des opérateurs économiques afin que l’économie tourne et que le pays vive.

 La période suivant immédiatement le scrutin sera probablement difficile, compliquée. Elle exigera responsabilité, sagesse, maturité et pragmatisme de la part de nos chefs politiques, de nos leaders d’opinion et de nos élites. Il n’y aura alors pas de place pour de la naïveté ou pour des calculs égoïstes à court terme.

 Refuser la perspective même d’une coalition post-électorale, comme certains esprits excités commencent déjà à le faire, conditionnant les plus radicaux dans tous les camps à rejeter la possibilité même d’une coalition, n’est de ce fait ni très utile, ni très intelligent. Un certain jusqu’auboutisme pointe déjà l’oreille, en associant toute notion de coalition post-électorale à une «trahison» et à une «perversion du vote démocratique du 7 novembre». Cette posture commence déjà à conditionner l’atmosphère pour la suite des événements. Or, tout peut arriver le 8 novembre. Tout doit donc être calmement envisagé.

 Serait-ce «trahir» le vote du 7 novembre que d’envisager, si la situation l’exige, des arrangements rendus nécessaires par une majorité insuffisante ou alors inadéquate ou imparfaitement représentative de nos réalités sociales ? Il faut aujourd’hui bien appréhender les enjeux. Autrement, nous ne sortirons jamais tout à fait du tourbillon de rancœur, d’amertume, d’accusations gratuites, voire de haine partisane que favorise la présente campagne électorale avec ses outrances. Les leaders ne doivent pas, par des propos trop tranchés, créer les conditions qui rendent impossible toute éventuelle cohabitation en cas de besoin.

 Le vote du 7 novembre sera un utile exercice de clarification et d’expression démocratique. Il ne faut pas que le prolongement de la hargne et de l’esprit de règlement de comptes actuels en fasse un exercice de blocage institutionnel. Ça pourrait alors être, pour Maurice, le début d’une lente descente aux enfers.

 

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