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Éviter de «déklar mari»
L’attitude adoptée par le Premier ministre, Pravind Kumar Jugnauth, depuis la proclamation des résultats des élections générales révèle l’existence d’une stratégie bien calculée, visant à lui permettre de se hisser au-dessus des rancœurs politiciennes et des controverses inutiles. Et de se positionner comme un Premier ministre de toute la nation et non pas seulement des partisans du MSM qui ont voté pour lui.
Cette stratégie est largement dictée par le fait que le MSM, avec son allié-croupion, n’est pas soutenu par une importante majorité des Mauriciens. Le Parti travailliste, le MMM et d’autres partis de moindre importance bien que recueillant un total de quelque 63 % des voix sont exclus du pouvoir. Face à une telle faiblesse, Pravind Jugnauth, avec ses 37 %, aurait intérêt à se le jouer cool et d’éviter de «déklar mari».
Les stratèges du Sun Trust et de Lakwizinn n’ont pas tardé à réaliser, le jour même de la proclamation des résultats, que Pravind Jugnauth ne pouvait se permettre de fonctionner comme un bagarreur car, en provoquant des réactions hostiles, il inviterait les Mauriciens à réfléchir aux statistiques électorales et aux soupçons de fraude sur une grande échelle autour du vote. Plus le personnage s’affiche lisse, moins il y a des aspérités, mieux défendrait-il les intérêts de Lakwizinn.
C’est dans cet état d’esprit que Pravind Jugnauth s’est même permis d’offrir quelques mots de consolation à Navin Ramgoolam, après la défaite, deux fois successives, de ce dernier. En tenant de tels propos réconfortants Navin Ramgoolam, Pravind Jugnauth a invité, sans le vouloir sûrement, à une réflexion sur le cas de son père, sir Anerood Jugnauth. Ce dernier, tout comme le leader travailliste, essuya deux échecs électoraux successifs, l’un en 1995, quand il subit un 60-0, et l’autre lors de l’élection partielle d’avril 1998, quand il fut battu de quelques milliers de votes par le néophyte travailliste, Satish Faugoo.
En évitant de piétiner sur un Ramgoolam à terre, le Premier ministre essaie sans doute de dédramatiser toute cette controverse de fraude électorale massive, d’inviter le leader rouge à ne pas contester les élections et d’aller plutôt enjoy life – comme il l’avait proposé aux deux représentants de Dufry. Pravind Jugnauth serait plutôt content de voir Navin Ramgoolam partir «dompter» son Aston Martin et de débarrasser son moteur de 5,2 litres de toute accumulation de carbone que de rencontrer un panel d’avocats pour contester les élections.
Nonobstant Ramgoolam, le Premier ministre plane sur une majorité confortable mais bien des problèmes l’attentent. Tout d’abord, toute cette contestation d’élections n’apporte pas un air de sérénité utile au fonctionnement d’un gouvernement et à l’environnement économique, où les opérateurs détestent l’incertitude. À ce stade, il est difficile de spéculer sur la solidité des arguments avancés par l’opposition pour contester les élections mais, théoriquement, il suffit que dix députés du MSM-ML perdent leur siège, comme dans le cas d’Ashock Jugnauth, pour que la majorité parlementaire change de camp.
La contestation des élections et les allégations de fraude électorale risquent aussi de porter atteinte au prestige international de Maurice. Les médias étrangers sautent sur toute occasion qui leur est offerte pour raconter qu’il y a maldonnes dans la Paradise Island. Les investisseurs et les futurs acquéreurs de villas de luxe ne sont nullement réconfortés quand ils réalisent que Maurice est après tout une république bananière… Enfin, on n’est jamais mieux servi que par les siens. Les deux Jugnauth ont miraculeusement survécu aux Lutchmeenaraidoo, les Dayal, les Tarolah, les Sesungkur, les Choomka et les Sumputh.
On ne peut que saluer la façon dont Pravind Jugnauth s’est débarrassé de la vielle ferraille. Mais priver d’un escroc d’un ticket et gérer les activités et… les vices particuliers de ses ministres, de ses Chairmen de corps paraétatiques et d’autres nominés encore est une tout autre affaire. Déjà, on sent une absence de cohésion et de solidarité à l’intérieur même du gouvernement. Ainsi, le néophyte et tout jeune ministre des Arts et du patrimoine culturel, Avinash Teelcuk, dont on ne connaissait même pas l’existence trois mois de cela, s’est permis d’octroyer un cinglant certificat d’incompétence non seulement à son prédécesseur Pradeep Roopun mais aussi aux deux Jugnauth père et fils. Et cela, sur le simple changement d’appellation de son portefeuille qui de ministère des Arts et de la culture est devenu le ministère des Arts et du patrimoine culturel. Le simple mot patrimoine fait de Teeluck un grand visionnaire, un superbe casseur-paké à venir, face à Roopun et aux deux Jugnauth.
Mais il y a encore plus important que l’affaire de patrimoine. Le limogeage du français François Guibert de l’Economic Development Board (EDB) invite maintes réflexions. Qui a pris la décision de le limoger alors qu’il avait été recruté quand le Premier ministre, Pravind Jugnauth, était responsable de l’IDB ? Qui a découvert que Guibert était incompétent alors que Pravind Jugnauth l’a maintenu dans ses fonctions?
Encore une fois, quelqu’un au gouvernement passe un jugement sur le savoir-faire du Premier ministre. La seule explication pouvant justifier le non-limogeage de Guibert avant les élections serait qu’on avait évité que la France se mette en colère et vienne neutraliser le formidable travail fait par des Israéliens, des Bangladais et des Indiens durant les élections. Ou que le patron de l’EDB était en mesure de «contrôler» tel nombre d’électeurs Rajput, Ravived ou Vaish dans les circonscriptions rurales où son humiliation aurait déclenché des mesures de rétorsion.
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