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De démocratie à dictature : attention Modi !

22 décembre 2019, 07:32

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L’Inde, connue comme la plus grande démocratie du monde, serait-elle en train de sombrer dans une dictature de type nouveau ? Depuis plus d’une semaine, les manifestations sanglantes contre la nouvelle législation du régime Modi sur la citoyenneté – jugée comme étant discriminatoire contre les musulmans d’une part ou, de l’autre, comme une invitation aux non-musulmans du Bangladesh, du Pakistan, ou de l’Afghanistan à envahir la Grande péninsule – s’intensifient et divisent profondément le pays. Au-delà des aspects sensibles mêlant l’histoire, l’ethnicité, la religion et la xénophobie, la question se pose sur les motivations politiques de Modi. Propage-t-il la haine et détruit-t-il la liberté (coupures d’Internet) car il aspire à un Empire ?

 Ce n’est pas un secret que Modi a toujours prôné l’«hindutva».Cette doctrine idéologique favorisant l’hindouité tend à mettre sous pression les minorités confessionnelles et fragilise le sécularisme et le multiculturalisme légendaires de la Grande péninsule. Les signes sont là. Depuis qu’il a été réélu, en mai, Modi ne rate pas une occasion pour laisser entendre et comprendre que l’Inde appartient aux hindous. La démonstration de force au Cachemire, en août, avait pour objectif de réduire l’autonomie dont cette région a majorité musulmane jouissait depuis l’indépendance. Ce qui a provoqué une levée de boucliers des intellectuels indiens, indépendamment de leurs couleurs politiques ou origines ethniques. Parmi les voix les plus sonores, celle de la militante et écrivaine Arundathi Roy : “India is a continent. More complex and diverse, with more languages – 780 at last count, excluding dialects – more indigenous tribes and religions, and perhaps more communities that consider themselves separate nations than all of Europe. Imagine this vast ocean, this fragile, fractious, social ecosystem, suddenly being commandeered by a Hindu supremacist organization that believes in a doctrine of One Nation, One Language, One Religion, One Constitution. I am speaking here of the the RSS, the Rashtriya Swayamsevak Sangh, founded in 1925 – the mothership of the ruling Bharatiya Janata Party. Its founding fathers were greatly influenced by German and Italian fascism. They likened the Muslims of India to the Jews of Germany, and believed that Muslims have no place in Hindu India...”

 La démocratie serait-elle, donc, la pire des dictatures ? Parce qu’elle est justement, ou injustement, la dictature exercée par le plus grand nombre sur la minorité ? Pourtant, plusieurs penseurs, dont l’écrivain-philosophe Albert Camus, ont mis en avant le fait que la démocratie devrait surtout servir de protection pour la minorité, au lieu d’imposer la loi de la majorité. Selon la nouvelle législation qui est la base de tous ces remous, l’Inde entend faciliter l’attribution de la citoyenneté indienne aux réfugiés fuyant l’Afghanistan, le Pakistan et le Bangladesh... à condition qu’ils ne soient pas des musulmans. Les éditorialistes de la presse indépendante sont vite montés au créneau pour contrer cette loi. Selon eux, la mise en application de cette loi dans un pays où les musulmans représentent 14 % de la population (soit environ 200 millions d’Indiens), placerait l’Inde dans un état de conflit permanent. D’où l’appel lancé au gouvernement de Modi afin d’initier un dialogue. L’Indian Express rapporte que plusieurs personnalités de dimension nationale «ont été interpellées dans les défilés et placées en garde à vue», dont l’historien Ramachandra Guha, à Bangalore, le secrétaire général du Parti communiste d’Inde (marxiste), Sitaram Yechury, et le militant de la cause agricole Yogendra Yadav, à Delhi, alors que des milliers de manifestants ont été arrêtés dans plusieurs États.

La decision du Conseil des ministres d’amender le Citizenship Amendment Bill de 1955 marque une rupture fondamentale avec le principe de laïcité inscrit dans la Constitution indienne.Si la nouvelle loi ne touche pas directement les Indiens de foi musulmane, elle aura été cette goutte d’eau qui a fait déborder le vase qui s’emplit depuis que Modi est au pouvoir. Les musulmans estiment que les nationalistes hindous veulent les faire devenir «des citoyens de seconde zone, privés de droits.» Outre l’épisode traumatisant du Cachemire, en novembre, la justice a autorisé la construction d’un grand temple hindou à Ayodhya, soit sur l’emplacement considéré comme sacré d’une mosquée démolie en 1992 par des zélotes hindous. Cette destruction avait alors entraîné l’une des pires vagues de violences de l’histoire de l’Inde indépendante. “This is how Modi ran Gujurat, with a completely iron fist (...) They manipulated universities, they intimidated the media, threatened the judiciary – and they think they can extend that to all of India”, écrit Niraja Gopal Jayal, du Centre for the Study of Law and Governance de l’université Jawaharlal Nehru. En ce sens, il dit constater que des non-musulmans se joignent aux musulmans car ils ont compris que c’est une «battle for democracy, a battle for civil liberties, a battle for secularism and the plural character of Indian society.»

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 «L’idéologie, c’est la vision du monde livrée clé en main. On vous dit, ‘voilà vous êtes marxiste, vous êtes freudien, structuraliste, lacanien, de gauche, de droite, chrétien, juif, musulman, et voilà ce qu’il faut penser sur tous les sujets’», nous confiait le philosophe Michel Onfray, dans un entretien à l’express, en mars 2014. Selon lui, «c’est donc un combat permanent car l’idéologie dispense de penser par soi-même. L’idéologie, c’est donc le renoncement à l’idée, au profit de l’obéissance, de la soumission.» Ce que l’on voit en Inde est lie à l’idéologie politique, mais aussi à l’idéologie religieuse. «L’essence de la religion, c’est le déni de la mort et l’affirmation que suite à sa venue, nous vivrons encore sous une autre forme, et ce pour une vie éternelle. À partir de ce mensonge, souvent fait à soi-même, tout devient possible. L’intégrisme et le fondamentalisme constituent la pointe la plus aiguë de cette logique de déni.»

Dans «Théorie de la dictature», son dernier livre, Onfray dégage pas moins de sept pistes pour définir les dictatures du XXIe siècle. Un peu comme 1984 et Animal Farm ont permis de penser les dictatures du siècle dernier. Le cadre d’analyse d’Onfray se prête, bien, à ce que l’on voit en Inde, et un tant soit peu aux risques d’absolutisme du régime Jugnauth, à Maurice. La théorie de la dictature repose donc sur les pistes suivantes : 1) détruire la liberté (assurer une surveillance permanente qui pourrait nuire à la vie personnelle, par exemple Safe City, s’il est mal utilisé); 2) appauvrir la langue (utiliser le double langage du pour ou contre le kreol au Parlement ?); 3) abolir la vérité (par exemple, censurer le Hansard, ou refus de publier des contrats stratégiques, instrumentaliser la presse, diffuser de fausses nouvelles, etc.); 4) supprimer l’histoire (effacer le passé, ne pas enseigner l’histoire dans les écoles publiques); 5) nier la nature; 6) propager la haine («fomenter des guerres», «achever le dernier homme»); 7) aspirer à l’Empire (gouverner avec les élites et choisir les castes majoritaires afin de contrer les autres)...

 Comme l’Inde, Maurice n’a pas intérêt à marginaliser une partie de sa population pour des raisons de politique ou d’empire. Il y va de notre cohésion sociale...