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Corona-résilience
Le Covid-19 est davantage un révélateur de nos faiblesses qu’un déclencheur de la crise que nous vivons. Il met à l’épreuve notre capacité à surmonter un choc économique. Il fait voler en éclats l’illusion d’une économie résiliente dans la mesure où même les meilleures entreprises vont quémander une aide financière auprès de l’État. Et il met un bémol à la méthode du rétroviseur, suivant laquelle Maurice assurera son avenir économique parce qu’elle a fait mentir la catastrophe annoncée par Meade.
Le système économique du pays, à l’instar de son système de santé, doit faire de la résistance au coronavirus. Si l’économie parvient à développer une corona-résilience, elle sera immunisée contre d’autres chocs. Au cas contraire, il restera fragile même après élimination du virus.
Pendant le couvre-feu, il faut lire Esther Duflo et Nassim Nicholas Taleb. Ils ont en commun de dénoncer ces économistes cathodiques qui défendent des intérêts corporatistes avec des prévisions, lesquelles ne constituent en aucun cas une connaissance certaine.
C’est toujours à partir d’une projection sur la croissance économique qu’un gouvernement vient avec un plan de soutien : le Covid-19 ferait baisser celle de Maurice par 100 à 600 points de pourcentage. Rien moins que ça. Or, pour citer le prix Nobel d’économie 2019, auteure de «Good Economics for Hard Times», «the growth rate is mostly a hopeless exercise» en ces temps difficiles pour l’économie. Ce qu’il faut, c’est «to be vigilant, resist the seduction of the “obvious”, be skeptical of promised miracles, question the evidence, be patient with complexity and honest about what we know and what we can know».
L’épidémie a causé un double choc de l'offre et de la demande. D’un côté, les confinements entraînent une baisse très importante de l’activité économique, une chute de l’utilisation des capacités, une hausse des coûts des entreprises et un resserrement du crédit. De l’autre côté, des travailleurs peuvent être licenciés, des firmes sont incapables de payer les salaires, les gens dépensent moins au profit de l’épargne de précaution. Les coûts directs du coronavirus sont la perte de vies et les fermetures d’entreprises ; les coûts indirects sont un recul de la confiance des opérateurs et le chaos des marchés financiers.
La panique aidant, on croit que la réponse à ces perturbations doit venir d’en haut, c’est-à-dire du soutien budgétaire et monétaire de l’État. Mais seulement, écrit Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international, «the number one priority in terms of fiscal response is ensuring frontline health-related spending to protect people’s wellbeing, take care of the sick, and slow the spread of the virus».
La priorité qui vient après, c’est de soulager, d’une manière opportune, ciblée et ponctuelle, la trésorerie des firmes les plus affectées. Cela consiste pour l’État à subventionner les salaires de ceux au chômage technique, à accorder des allégements fiscaux, à prolonger les paiements de la TVA et à suspendre les cotisations sociales. La question est de savoir jusqu’où l’on peut laisser déraper le déficit budgétaire.
Cependant, ce n’est pas ainsi que se construit la résilience. C’est plutôt à l’entreprise d’abord de s’organiser pour gérer sa trésorerie. L’entrepreneur prudent est celui qui fait preuve d’adaptabilité, d’agilité et d’imagination, et qui a recours à la pensée systémique afin de sécuriser l’offre, de soutenir la demande et de protéger son organisation par le télétravail.
En amont de son écosystème, il consolide ses relations avec ses fournisseurs et ses vendeurs, les informant de ses besoins commerciaux et anticipant tous les scénarios possibles avec un plan d’urgence. En aval, il étend les rabais et les primes pour fidéliser ses clients et il crée de la valeur pour eux par une nouvelle méthode de distribution comme la livraison à domicile. Latéralement, il négocie avec ses banquiers en des termes clairs.
Reste que la vraie résilience, c’est «l’antifragilité» de Taleb, c’est de savoir se servir de l’incertitude pour se fortifier selon le principe de la mithridatisation. L’antifragilité dépasse la solidité. Ce qui est robuste supporte les chocs aléatoires mais demeure pareil. Ce qui est antifragile devient plus fort sous la pression ou le stress, devant l’apparition d’un «cygne noir» que l’auteur de «Skin in the Game» définit comme un événement imprévisible et brutal, tel le Covid-19.
Pour devenir coronarésilients, nos entrepreneurs doivent apprendre à s’exposer intelligemment à certains préjudices comme la volatilité des marchés et les contraintes de rareté. Le gouvernement ne doit pas chercher à tout prix à les éliminer, car ils transmettent des informations qu’un système économique, par essence complexe, doit assimiler pour s’améliorer. Ce qui rend celui-ci antifragile, c’est la concurrence qui est un processus de découverte et de sélection. On progresse par essais et erreurs en mettant sa peau en jeu.
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