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Covid 19: Déconfiné et déconfit

19 avril 2020, 07:42

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Le pays s’apprête à affronter une nouvelle étape de la pandémie du Covid 19. Il convient maintenant de réunir les conditions d’un déconfinement maîtrisé, faute de quoi le marasme risque de perdurer longtemps encore.  

Pour réussir un déconfinement qui ne soit pas source de nouvelles angoisses, pour éviter des déconfitures, il est souhaitable que le gouvernement propose au pays une stratégie susceptible d’obtenir une large adhésion populaire. La vieille antienne « government is government and government decides » est le plus sûr moyen de provoquer l’échec. Pour beaucoup de chefs de gouvernement de la planète, les temps qui courent sont semés d’embuches qui mettent à l’épreuve leur sens du leadership. C’est toujours ainsi en temps de « guerre », comme ils disent.  Ce temps est parfois celui de l’unité nationale, sinon de la recherche du plus large consensus possible.

Nous voyons au moins trois volets à cette démarche, tous les trois frappés du sceau de la consultation, de la transparence et de l’écoute.

Le premier est crucial, il déterminera la suite ; il pose la question de savoir qui, en fait, décide que le moment du déconfinement est arrivé.  Est-ce les autoritaires sanitaires ? Les acteurs économiques ? Le pouvoir politique ? 

Il peut paraître évident au citoyen que pour déboucher sur une décision rassurante pour tous, le gouvernement, à qui appartient sans doute la décision finale, se doit de constituer, dans la transparence du débat démocratique, une plateforme de consultation et d’échanges réunissant ces parties prenantes auxquelles devraient se joindre les syndicats représentatifs et des scientifiques du privé. L’objectif ici est de rechercher une décision consensuelle. Cette stratégie est bien plus à même de susciter l’adhésion des citoyens que l’annonce solitaire d’un Premier ministre, fort du seul imprimatur de son Conseil de ministres. Le risque de cette démarche, c’est l’absence de consensus au bout de l’exercice. Soit, mais il est moins grave que l’absence d’une plateforme de consultation qui sera le prétexte à toutes les polémiques.

Deuxième volet, dans le même esprit, c’est la nécessité de rappeler le Parlement, en deux temps, pour élargir le débat aux représentants de la population.

Dans un premier temps, je ne vois pas grand intérêt à une séance parlementaire de questions aux ministres comme le font quotidiennement les journalistes. En revanche, il y aurait intérêt à un débat parlementaire sur le programme précis et le calendrier du déconfinement élaborés par le gouvernement suite aux consultations. Il s’agirait là encore d’une approche bipartisane, la majorité montrant un vrai souci d’écoute des préoccupations et des propositions de l’opposition. Le programme de déconfinement approuvé devient ainsi celui de l’Assemblée nationale. 

Troisième volet, ce cap passé, il va falloir, à l’Assemblée législative, débattre du fond : quelle stratégie de relance, avec quels moyens, quelles réformes ? Le tout devrait commencer par la présentation d’un état des lieux, « The State of the Economy ». Pour les propositions de relance, le ministre des Finances devrait consulter bien plus largement que son petit carré de conseillers aussi compétents soient-ils. Le pays compte un certain nombre d’anciens ministres de Finances de grande expérience, leurs avis pourraient être fort utile au nouveau ministre qui affronte sa première tempête, et la plus violente qui soit.  Il faudra de très larges consultations pour prendre la pleine mesure du long et dur chemin à faire, et surtout pour mobiliser toutes les forces vives dans un difficile projet de reconstruction, peut-être même de restructuration.

Les aides financières que l’Etat devra mobiliser pour soutenir les ménages et les entreprises sont colossales. Elles le sont d’autant plus que le pays est fragile par son endettement et ses déficits, il est dépendant de l’extérieur pour ses importations alimentaires notamment, il est dépendant aussi des marchés en crise pour ses exportations de biens industriels, pour son tourisme. Le ministre des Finances a commencé à évaluer et à chiffrer publiquement les milliards à trouver. Mais une information n’est pas une stratégie, une carte n’est pas une boussole ; il nous faut davantage pour comprendre où l’on nous mène.

 Au-delà des « facts and figures », il faudra que le ministre des Finances dise rapidement où il espère trouver ces dizaines de milliards de roupies, peut-être aussi des dollars, auprès de quelles institutions financières, de quels pays, s’ils sont encore prêteurs, à quel coût, quelles nouvelles taxes envisage-t-il, à quel bon escient l’argent sera-t-il utilisé, avec quelle transparence, et quels sont les résultats attendus. Le Dr Padayachy a quelque peu communiqué, ces derniers jours, mais son discours manque de conviction, il est loin de nous ouvrir une perspective même si le ministre est apparu très ouvert et éloigné de motivations partisanes. Mais le paraître ne suffira pas. 

En tout cas, il ne servira à rien, dans les prochains jours, de continuer à nous dire ce que nous savons déjà : que le monde connaît une de ses pires crises économiques, que la récession et le chômage massif menacent partout, que toutes les régions du monde sont touchées. Que le FMI  dit ceci et cela. Et qu’à Maurice les secteurs les plus impactés sont l’aviation, l’hôtellerie et le tourisme, le textile, les services financiers, la construction et l’immobilier, les petites et moyennes entreprises, le secteur informel, tout le monde en fait.

Une seule question taraude le citoyen : comment on s’en sort ? 

L’angoisse a changé d’objet ; nous commençons à penser qui si nous restons vigilants et focalisés, nous arriverons peut-être à bout du Covid 19, - encore que les experts scientifiques n’arrêtent pas de nous mettre en garde contre un risque de résurgence – mais nous nous focalisons désormais sur l’enjeu économique, sur notre capacité réelle de redressement. Quelles et combien de nos entreprises seront en faillite ? Beaucoup d’entre elles sont à forte intensité de main-d’œuvre. Combien de chômeurs supplémentaires compterons-nous dans trois mois ? Ce sont là les préoccupations majeures des citoyens, les plus vulnérables d’abord mais pas seulement. Des drames humains de très grande ampleur, dans des classes sociales jusqu’ici protégées, se jouent déjà. Seul l’espoir d’un possible rebond, quand bien même lointain, peut éloigner le pire. Pour l’instant, le discours gouvernemental en est totalement dépourvu.

Pourtant, l’Etat est aujourd’hui notre principale planche de salut. Foin des idéologies, le monde s’est métamorphosé, l’ancien monde a disparu sous nos yeux. Dans tous les pays en crise, ce sont les ministres des Finances qui montent en puissance.

Il est minuit, docteur !

 

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