Publicité

L’inexorable construction d’un nouvel État à Maurice

30 mai 2020, 09:36

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

L’inexorable construction d’un nouvel État à Maurice

Les signes sont révélateurs. Depuis quelques années, on construit inexorablement un nouvel État à Maurice tout en démantelant graduellement le type de démocratie parlementaire à la Westminster que nous ont légué les colonisateurs britanniques.

Le système Westminster a pour soubassement le Parlement démocratiquement installé après des élections free and fair. Lequel Parlement désigne le leader de la majorité comme Premier ministre. Seulement, le Parlement reste l’instance suprême du pays et le Premier ministre et les ministres de même que les fonctionnaires ont des comptes à rendre aux représentants du peuple. Les débats sur tous les projets de loi et le Budget doivent se faire sans entraves. Les membres du gouvernement sont sujets à des questions sur la gestion de leurs ministères. Les fonctionnaires sont tenus de donner des explications à des commissions parlementaires dont le Public Accounts Committee. Le Parlement peut même contraindre le Premier ministre à instituer une commission d’enquête sur un sujet ou scandale majeur.

D’après le système Westminster, le Speaker est appelé à jouer un rôle crucial et déterminant. Dans les démocraties les plus avancées, on désigne même quelqu’un de l’opposition comme Speaker. Dans d’autres, on ne conteste pas l’élection, dans sa circonscription, du futur candidat aux fonctions de Speaker et cela suivant un accord entre les partis. Mais à Maurice, on désigne un fidèle de la majorité, même candidat battu aux élections. Le Speakership depuis 2014 est utilisé pour brimer l’opposition, faussant ainsi l’esprit de fairplay de Westminster. De mal en pis, après 2014, la pratique du népotisme a envahi le Parlement, la nomination du Speaker relevant d’une connexion cousine/cousine. Le sommet a été atteint avec le parachutage de Sooroojdev Phokeer. Au point où Maya Hanoomanjee prend maintenant des allures de Florence Nightingale tant le nouveau Speaker est vu se comportant en bouncer verbal du gouvernement.

Depuis les dernières élections, un aspect fondamental de la démocratie parlementaire, c’est-à-dire l’exercice de question/réponse a été littéralement escamoté. Une seule occasion a été donnée aux parlementaires d’adresser des questions parlementaires au Premier ministre et aux ministres depuis les élections tenues en novembre 2019. On démantèle aussi le droit du député à la parole. On limite le nombre d’orateurs, on limite le temps de l’intervention.

Avec le Parlement désarticulé, avec un Speaker davantage ‘physique’ que cérébral, avec un Président-paillasson, avec toutes les institutions sauf le bureau du DPP sous contrôle, le principe même de la séparation des pouvoirs a été dérobé au profit d’un exécutif superpuissant symbolisé par un homme seul.

Mais l’homme n’est pas seul. Il est efficacement soutenu par une armée d’exécutants placés à la tête de toutes les institutions, des corps paraétatiques, des compagnies d’État et des ambassades. Ainsi, l’ICAC qui avait entamé un procès contre quelqu’un fait savoir au Privy Council qu’elle ne va pas de l’avant avec son accusation. Le Privy Council ne pouvait plus se permettre d’être plus royaliste que le roi.

Les trois ambassades à l’étranger les plus importantes – celles de Londres, New Delhi et Washington – sont dirigées par un cousin, une cousine et un autre membre de la famille. Le haut-commissaire de Maurice en Afrique du Sud qui se la coule toute douce et que les intimes appellent David Whitehead, il est l’oncle (phoupha) d’un important ministre. Pour les pays arabes, c’est l’incontournable Showkutally Soodhun qui s’est autoproclamé esclave des Jugnauth au point qu’il vota même contre la Muslim Personal Law.

Les exécutants se retrouvent souvent dans plusieurs rôles à la fois. Ainsi, si Sherry Singh dirige Mauritius Telecom avant de prendre le contrôle d’Air Mauritius après le travail de nettoyage de Sattar Hajee Abdoula, une jeune de Lakwizinn sévit au niveau du board d’Air Mauritius tout en étant membre de l’Electoral Supervisory Commission et de l’Electoral Boundaries Commission. Ce n’est pas tout : elle siège aussi à la Financial Intelligence Unit !

Avec un commissaire de police mené par la carotte du renouvellement mensuel de son contrat et suivant les pouvoirs exceptionnels que les lois Covid-19 ont donnés aux forces de l’ordre, la mainmise de Lakwizinn est assurée.

Bande de fidèles exécutants à tous les niveaux, d’une part, engagement total à la politique de clientélisme, au servicing de nou-bann, de l’autre. Ce ne serait nullement surprenant qu’au moment où une Air Mauritius complètement allégée de son fardeau d’armée de managers de tous genres – managers de couloirs, managers de parking, managers de toilettes et aussi de l’encombrant Mike Seetaramadoo – prendra son gracieux envol sous le commandement du capitaine Sherry Singh, resteront on board que des bann tout à fait loyaux à Lakwizinn. Les autres, on va les larguer dans la nature.