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Même normalité
Ce qu’on craignait est arrivé : le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a équilibré son Budget 2020- 2021 en utilisant la manne de Rs 60 milliards de la Banque de Maurice sans faire de gros efforts budgétaires de sa propre part. Comme c’est facile d’injecter de l’argent qui ne sera, en fin de compte, que de la pure création monétaire ! Il n’y a pas, en contrepartie, de discipline fiscale en termes de dépenses sociales et de réformes structurelles du secteur public. Et il s’agit, là, du tout premier Budget de la présente législature – une occasion ratée de bâtir de la résilience économique pour les années à venir.
C’est à croire que la crise du Covid-19 est derrière nous. C’est, du moins, la fausse bonne impression que dégage le discours budgétaire : il est écrit dans le style habituel et avec la même approche sectorielle, comme si tout était redevenu normal. Le discours budgétaire est aujourd’hui un exercice de com, les pilules amères (tel le report du rapport PRB) étant enfouies dans les annexes. Alors que tout le monde dit que nous vivons une période exceptionnelle, le gouvernement choisit de plaire sur le plan social avec un Budget ordinaire qui ne sort pas des sentiers battus. Le temps de la rigueur est désormais révolu : c’est cela la «nouvelle normalité» de l’île Maurice d’après.
Ce qui est nouveau et ce qui fait que ce Budget sort de l’ordinaire, c’est qu’il réinvente la notion d’équilibre budgétaire. Lorsque les dépenses ne sont pas comblées par les ressources du Budget, on a un déficit. Or les Rs 60 milliards de la Banque centrale sont classées comme «other revenue» du Budget, d’où un déficit zéro. On saura si le Fonds monétaire international (FMI) accepte cette méthode de calcul qui permet au gouvernement de masquer un déficit budgétaire de 13,2 % du produit intérieur brut (PIB) pour l’année 2020-2021, après 13,6 % en 2019-2020.
Dans le Budget de l’année dernière, les Rs 18 milliards du Special Reserve Fund de la Banque de Maurice ne furent pas comptabilisées dans les revenus, mais présentées comme un élément de financement. Elles furent transférées au Trésor public en décembre dernier. Dans le bulletin mensuel de la Banque centrale, le Statement of Budgetary Central Government Operations (tableau 9) indique Rs 19 milliards comme «other revenue» pour décembre 2019. Cependant, le même relevé publié par Statistics Mauritius sur son site web, pour le compte du Dissemination Standards Bulletin Board du FMI, montre la somme de Rs 1 milliard sous «other revenue» pour le même mois.
Pourquoi Statistics Mauritius n’inclut pas les Rs 18 milliards de la Banque centrale dans «other revenue» ? C’est parce qu’il doit suivre les principes de bonne gouvernance du Government Finance Statistics Manual 2001 du FMI. Serait-ce la même chose pour les fameuses Rs 60 milliards ?
On sait que la Grèce avait été mise au ban des créanciers internationaux pour avoir dissimulé le chiffre réel de son déficit public. Les opérations de comptabilité créative font planer des doutes sur la crédibilité des finances publiques. À Maurice, celles-ci se drapent dans l’opacité.
Ainsi, le recours aux Special Purpose Vehicles, qui échappent à l’examen du Parlement, n’est plus exceptionnel mais devient une pratique courante. Il faut être naïf pour espérer que les Rs 80 milliards de la Mauritius Investment Corporation (MIC) seront utilisées judicieusement. Avant même que son conseil d’administration soit constitué, le Grand argentier a dévoilé les secteurs et les projets où investira la MIC. Comme quoi elle est déjà aux ordres du régime.
La Banque de Maurice nous avait fait comprendre que «the objective of the MIC is to mitigate contagion of the ongoing economic downturn to the banking sector», par rapport aux «major economic and systemic operators in the tourism and manufacturing sectors», qui ont un chiffre d’affaires de plus de Rs 100 millions. Or le Budget nous apprend que «the MIC has earmarked Rs 10 billion to invest in African projects», et «will invest in the production of pharmaceutical products, medical devices and personal protective equipment», mais aussi «in fishing activities». Notre Banque centrale est la seule au monde qui, via une filiale, agit comme un investisseur en capital-risque au mépris de sa fonction de régulateur.
C’est suffisant pour ne pas croire béatement à l’affirmation de l’institut d’émission que les Rs 60 milliards sont une «ONE-OFF exceptional contribution». Cette somme, accordée sous la section 6(1)(oa) de la Bank of Mauritius Act, est «solely for the purpose of assisting Government in its fiscal measures to stabilise the economy». Or seulement Rs 27 milliards seront affectées aux dépenses de développement, à la production, le reste consacré aux dépenses courantes, à la consommation. L’économie risque d’être davantage déstabilisée que stabilisée.
Au cœur d’un Budget pour lequel les nouveaux bien-pensants ont des propos lénifiants, se trouve la même normalité de l’argent facile.
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