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Wakashio, quand tu nous tiens !
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Wakashio, quand tu nous tiens !
Le Wakashio n’est pas près de nous lâcher !
Nous nous rendons compte maintenant que ce naufrage et cette marée noire n’ont pas juste sali ou même pollué nos lagons et nos plages, mais de facto EMPOISONNÉ nos systèmes écologiques et notre mer, jusque-là plutôt cristalline, du moins au premier coup d’oeil ! En effet, mardi au Parlement, le ministre de l’Économie bleue, derrière un masque plissé, bleu aussi, révélait à la nation les résultats des premières analyses de Quantilab sur 18 types de poissons et d’autres fruits de mer récoltés dans les parties affectées du lagon allant de Blue-Bay à Grande-Rivière-Sud-Est.
Le bilan est choquant : de l’arsenic entre 5 et 7 fois le taux permissible, du cadmium en dépassement de 30 % du taux limite et une détection plus prévisible d’huile lourde dans les échantillons récoltés donnent froid dans le dos. Les poissons et tous les autres produits de la mer de ces régions sont évidemment interdits à la vente, mais le risque existe que des produits contaminés soient vendus à la sauvette puisqu’il n’y a, malgré des suggestions faites ces dernières années, aucun système de traçabilité en place dans le pays. Il faudra donc surveiller cette zone de très, très près, d’autant que des journaliers, des volontaires et des pêcheurs aussi y travaillent, y compris pour nettoyer le lagon et les plages, et qu’ils ne sont pas toujours équipés «comme il faut».
Il faut remercier le ministre d’avoir été rapide, transparent et explicite sur cette question, ce qui n’est pas toujours courant et il faut souhaiter que cela continue, d’autant qu’il faudra nous rassurer que les échantillons étaient assez nombreux et représentatifs de la zone polluée. Il faudra d’ailleurs aussi faire des tests sur des échantillons se trouvant même largement en dehors de la zone infectée, puisque les poissons sont, après tout… mobiles ! La ferme aquacole de Mahébourg ne paraît pas affectée pour l’heure, mais devra aussi être suivie avec assiduité. On ne sait pas, par contre, s’il faut rire ou pleurer quand le ministre nous parle des «analyses» de l’Albion Fisheries qui auraient lumineusement indiqué «a high level of oil and grease» !
Que les dégâts causés par le Wakashio soient la responsabilité première de l’armateur et de son équipage ne fait pas de doute : ce bateau n’a pas fait ce qu’il fallait pour qualifier sa balade chez nous d’«innocent passage». Ce qui s’est passé le démontre amplement. Cependant, l’enquête indépendante qui verra le jour devra aussi établir les parts de responsabilités «autres». Elles se retrouvent sous au moins deux têtes de chapitre.
La première est en amont du naufrage et engage nos capacités de surveillance maritime. On a évoqué jusqu’ici les appels demeurés sans réponse du NCG au Wakashio. Le naufrage a lieu à 19 h 25. Le premier appel de la NCG est à 18 h 15… selon la réponse parlementaire du Premier ministre le 4 août. Ça ne laisse pas beaucoup de temps pour réagir, en effet, mais le PM, répondant à une question parlementaire mardi 18 août (1) indiquait que notre Coastal Surveillance Radar System (CSRS – 8 unités dont seulement 5 fonctionnant au moment des faits) et notre Automatic Identification System (AIS – 5 unités) sont «aimed at achieving Maritime Domain Awareness IN THE EXCLUSIVE ECONOMIC ZONE of Mauritius» (c’est nous qui soulignons). Or, si les limites de nos eaux territoriales du pays sont à 12 miles nautiques, celles de la ZEE sont de 200 miles nautiques menant à une ZEE de 2,3 millions de km2, Tromelin, Agalega, les Chagos compris, bien entendu. Cette ZEE nous fait évidemment bomber le torse, mais si l’on peut effectivement surveiller cette zone – et le Dornier 228 que nous achetions en 2014 possède, en plus, un «360 degree Forward Looking Infrared Radar» (FLIR) qui permettait, selon la littérature promotionnelle de l’époque, de «track up to 2000 objects at a range of 400 kms» et rendait possible même des opérations nocturnes(2) – pourquoi n’aurions-nous pas réagi plus tôt, c.-à-d. dès le 23 juillet quand le Wakashio entre dans la ZEE sur une route visiblement anormale, qui le menait droit sur notre île ? Pourquoi sommes-nous «aveugles» avant le premier appel du NCG au Wakashio ?
N’est-on pas, par ailleurs, en droit de se poser la question suivante : si, en haute mer, deux bateaux peuvent être mutuellement prévenus technologiquement s’ils vont faire collision, comment se fait-il que ce ne soit plus possible quand ça se passe entre le Wakashio et une ÎLE ENTIÈRE ?
À l’ère des merveilles technologiques du Web et de Vessel Finder, de Marine Traffic, de Windward, de Skytruth, de Ship Finder ou bien d’autres sites s’alimentant de renseignements satellitaires détaillés et fiables, est-ce concevable que nous n’ayons pas été conscients que le «safe passage» proclamé était, en fait, un «collision course» évident ? Le Premier ministre aurait intérêt à faire regarder l’affaire très soigneusement, car la NCG qui, lui, porte des réponses pour le Parlement a aussi besoin de ne pas se couler – ce qui en fait une situation de conflit d’intérêts potentielle.
Le prétexte que le Wakashio s’était rapproché de nos côtes pour capter un signal Internet ayant été démonté (l’express, mardi 18 août) et les nombreuses formations reçues pour consolider notre Oil Spill Contingency Plan (Christian Bueger, université de Copenhague, l’express du 17 août) démontrant que l’on était, théoriquement du moins, fin prêts pour le pire ; il restera à scruter le décisionnel pendant les jours qui ont suivi le naufrage.
Ce qui paraît évident aux «loups de mer», c’est que le Wakashio, étant entré dans le récif «nez devant» aurait dû être resté dans cette position, moteur allumé, mais au ralenti, jusqu’à soit les prochaines marées hautes, soit jusqu’à ce que les remorqueurs appropriés l’aident à s’extirper. En effet, le fioul lourd (empoisonné !), dans les cales arrières, était alors bien mieux protégé que plus tard, quand le Wakashio fut retourné par la houle (ou une fausse manoeuvre ?) se retrouvant «cul sur les récifs» pour être éventuellement déchiré en deux. Ce constat paraît logique et rationnel, mais le moteur lui-même a aussi flanché à un moment. L’enquête indépendante (Qui ?) devra expliquer cette chronologie en détail et dire ce qu’elle pense de ces 12 jours passés entre le 25 juillet, date du naufrage et le 6 août, jour de naissance de la marée noire. Les experts qui ont été écoutés durant cette période auront, enfin, l’occasion de dire leur vérité publiquement.
On aurait probablement pu mieux faire ! L’enquête nous dira comment ! Car, on peut toujours apprendre.
Quant à la déclaration d’un parlementaire britannique que le Wakashio démontrait que nous ne serions pas capables de gérer les Chagos, il faut peut-être qu’il aille d’abord expliquer si le même argument s’applique au Royaume-Uni qui a connu la marée noire du Sea Empress (72 000 tonnes d’huile lourde) ou le naufrage du MSC Napoli (2007) qui perdait 200 containers dont certains contenant des «noxious and hazardous materials» ou plus près de nous le naufrage du MV Priscilla (2018) ou celui du Kuzma Minin (2019). Cocasserie : l’unique patrouilleur du BIOT aux Chagos, le Pacific Marlin, était mis à l’index en 2014 pour s’être libéralement vidangé dans le lagon virginal de Diego ! (3)
La bonne nouvelle, c’est que malgré un trafic maritime qui augmente, le nombre d’accidents menant à des marées noires diminue fortement (4). Il est donc tout à fait possible de réduire les risques d’une nouvelle catastrophe, même si notre score depuis le MV Angel (2011), dans une si petite île-cible, ne paraît pas très positif.
Reste l’appel vibrant du vice-Premier ministre à l’opposition et à la nation pour être patriote en la circonstance. C’est un appel qui mérite attention et sérieux. Des propos farfelus et démagogues ou non-étayés circulent ou ont été formulés. Dans ce genre de situation, il n’est pas inhabituel de voir germer des théories de conspiration diverses. Ces réactions à fleur de peau jettent la confusion, détournent l’attention des questions essentielles et au minimum font perdre un temps précieux.
Mais, en démocratie, la population n’a-t-elle pas le droit de poser des questions et les autorités le devoir d’y répondre promptement et en toute transparence ?
• http://www.govmu.org/English/News/Pages/Coastal-Surveillance-Radar-System-implemented-across-eight-NCG-Stations.aspx
• https://www.defenceweb.co.za/aerospace/aerospace-aerospace/mauritius-orders-do-228-from-india-for-maritime-surveillance/
• https://www.independent.co.uk/news/world/americas/exclusive-british-government-under-fire-for-pollution-of-pristinelagoon-9222170.html
• https://www.itopf.org/knowledge-resources/data-statistics/statistics/
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