Samedi, j’ai à nouveau vu le visage du mauricianisme. On croyait le Mauricien endormi à jamais ? Après avoir été littéralement bouffé par le consumérisme ? «Il faisait juste un petit sommeil», m’a expliqué un citadin. Et la douche froide continue d’évènements négatifs, menant au Wakashio, l’aura enfin réveillé de sa torpeur. Je n’ai rien vu de pareil depuis 1982 ! À l’époque, la marée était blanc-mauve et sanctionnait le ras-le-bol face aux Travaillistes en fin de règne. Hier, la marée était symptomatiquement noire et sanctionnait déjà le trop-plein face à un gouvernement pourtant fraîchement élu! Ce contraste est frappant!

Le ras-le-bol était palpable dans les rues de PortLouis, hier. On sentait la colère, la détermination, la conviction de ceux qui marchaient, scandant des slogans, affichant leurs pancartes. Il y avait de l’enthousiasme aussi et de cette excitation toute particulière que l’on ressent à la sortie du devoir accompli. La foule était bigarrée mais surtout très jeune et le moteur principal de leur présence semble avoir été lié à tout ce qui touche le Wakashio : la molle indécision gouvernementale, les mensonges, la marée noire et ses conséquences, les dauphins morts, l’injustice, l’incapacité de nos services à prévenir le naufrage. S’y sont mêlés, en vrac, les claques pour les atteintes à la liberté d’expression, les problèmes des squatters, des pécheurs, des plaisanciers, le grand désir de transparence et le besoin de réponses claires en démocratie.

On dit des populations qu’elles oublient parfois ce qu’un leader dit et même ce qu’un leader fait, mais qu’elles oublient bien moins facilement ce qu’un leader les a fait ressentir.

Mon sentiment, hier c’est que le leadership actuel, Pravind Jugnauth en tête, est responsable d’un sérieux malaise national. Le coup de semonce venu de la rue l’exprime et s’il lui est certainement possible, à PKJ, de rectifier le tir, il reste encore à démontrer qu’il le souhaite. Insister dans la voie actuelle, comme, par exemple, avec Mme Boygah, Mr Hurdoyal ou vendredi encore avec la nomination du père du ministre Gobin au MGI, va alimenter la vague contre le népotisme qui ne profite qu’à une clique…et encore plus favoriser les malaises.

Les estimations de foule sont toujours sujettes à caution. Cependant, une manifestation de rue serrée qui prend 2 heures et 5 minutes, de son commencement à la fin peut être estimée a environ 70 000 personnes comme suit: si on réduit les 20 personnes/seconde déambulant en moyenne sur la largeur de la chaussée de 50 % (pour refléter les quelques arrêts), et si on ne donne aucun crédit aux personnes, pour- tant nombreuses, dans les rues latérales, on peut quand même arriver à l’estimation suivante : 10 x 60 x 60 x 2.1= 75 600. Cette estimation dépend de quelques hypothèses que certains pourraient qualifier d’héroïques. Elles me paraissent plausibles, même si elles ne peuvent pas prétendre à l’exactitude qui consisterait, quant à elle, à compter chaque tête présente- ce qui, hier, était une tâche impossible : il y en avait bien trop!