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La messe est dite
Une nouvelle fois, le bienheureux père Laval sort, malgré lui, du silence de marbre de son caveau et se fait inviter dans les orageux débats politiques contemporains. L’an dernier, la MBC, qui voulait chanter les louanges de Pravind Jugnauth, avait cru bon d’improviser un micro-trottoir, au caveau du bienheureux à Ste-Croix, à l’issue du verdict favorable du Conseil privé de la Reine dans l’affaire MedPoint. Beaucoup avaient été choqués par cet exercice de propagande qui mélangeait grossièrement la politique, la religion, la propagande et la vente, à prix fort, d’un bien foncier appartenant au clan Jugnauth à l’État. Et sous la pluie de critiques émanant de paroisses diverses, la MBC avait dû envoyer une lettre d’excuses au Diocèse pour ce faux pas médiatique.
On croyait alors l’affaire close et les leçons apprises dans notre cher pays au tissu social assez fragile. Mais non. Il y avait dans l’entourage des enfants de choeur qui gravitent autour du Premier ministre un mystérieux désir de croiser le fer avec l’Église. Comme une volonté de confrontation d’un autre temps. Ainsi, lors du journal télévisé du 3 juin 2020, la MBC devait encourager les squatteurs de l’African Town à transférer le blâme relatif à la problématique du logement du gouvernement à «légliz ek tablisman». Un shift sociologique, voire historique majeur, comme une réponse du berger à la bergère, un peu comme la marche ratée au Ganga Talao se voulait une réplique à la marée humaine de la place de la Cathédrale du 29 août.
Depuis l’occupation française, la question de la terre – soit son acquisition, son exploitation, son transfert ou sa dépossession – soulève les passions et enflamme les esprits à Maurice comme ailleurs. L’historiographie de la terre mêle l’esclavage, le colonialisme, l’engagisme, les concessions, les discriminations, le droit ou le passe-droit. On peut facilement rajouter le capitalisme, le copinage politique et leurs travers, les inégalités sociales, la mafia des hommes de loi, comme ces rogue notaries, et ces arpenteurs jurés, les profiteurs et les victimes du Sale By Levy, des Pas géométriques, des terrains à bail…
Du reste, si on a finalement eu le courage d’instituer une commission appelée «Truth and Justice» afin de tenter de réparer les crimes (si tant que c’est possible) et d’apaiser les séquelles de l’esclavage et de l’engagisme, d’obscurs lobbies ont fait pression, en 2011, peu après la publication des six rapports de la commission Justice et Vérité (CJV), pour que ceux-ci ne soient pas rendus accessibles dans leur intégralité au grand public, y compris aux parlementaires. De peur d’ouvrir la boîte de Pandore. Et d’encourager des grèves de la faim ou d’autres Clency Harmon.
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Avant de s’attarder sur l’homélie au vitriol du cardinal Piat, il est utile de revenir sur ce qui a mis en rogne le Diocèse. À la suite du reportage télévisé sur les squatteurs, le vicaire-général Jean-Maurice Labour avait réclamé un droit de réponse à la radiotélévision nationale. Droit de réponse refusé ! Ce qui devait pousser le cardinal Piat à sortir de ses gonds : «On ne quémande pas un droit de réponse, c’est un droit qu’on a et qui n’est pas respecté. Comme dirait l’Anglais : ‘Justice delayed is justice denied’.» Le point de l’Église par rapport au problème criard du logement est le suivant : c’est le rôle de l’État de trouver des terres et des logements décents pour les personnes qui sont dans le besoin. Encore une fois, ce rappel : «quand l’Église se range du côté des squatteurs, c’est uniquement pour les accompagner dans leurs démarches, conformément à leur droit à un logement.»
Le chef de l’Église s’avère un homme patient. Il savait au fond que son heure allait venir, qu’il aurait, au bon moment, son droit de réponse, que la messe serait dite. La fête du père Laval, l’apôtre de ceux qui souffrent, était le moment propice. Comme il fallait s’y attendre, le Premier ministre et son équipe ont mis en oeuvre un comité d’accueil pour Pravind Jugnauth, qui s’est livré à un jeu de selfies, alors que la foule chantait : «Les mo loué mo Bondié.»
Mais la com a ses limites. Le Premier ministre est rentré dans l’Église, où le cardinal Piat l’attendait au tournant : «Oui le peuple mauricien souffre (...) C’est toute cette souffrance qui s’est exprimée le 29 août et depuis (...) C’est le cri d’un peuple qui aime son pays passionnément et qui pleure de le voir secouer par des vagues, pa zis vag lamer ki kapav dévir enn bato mé vag ladrog, lakoripsion, kominalism ki kapav dévir enn péi…»
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Il serait intéressant de voir si la foule d’aujourd’hui à Mahébourg sera aussi conséquente que celle qui avait envahi la capitale il y a deux semaines. Ce qui change cette fois-ci : Bruneau Laurette n’est pas le capitaine, mais fait partie de l’équipage avec Rezistanz ek Alternativ et d’autres citoyens, on migre du Port-Louis névralgique et mythique pour le Sud-Est côtier, les partis politiques n’ont pas mobilisé leurs troupes, de l’eau a coulé sous le pont depuis l’échouage du MV Wakashio et des dauphins. Autant de raisons qui pourraient casser la dynamique citoyenne. C’est dans la durée qu’on mesure la force d’un mouvement…
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Hier, à la cour de district de Grand-Port, Mes Teeluckdharry et Duval, avocats de Bruneau Laurette, saluaient l’indépendance du DPP dans la Private Prosecution contre les deux ministres. Aujourd’hui, c’est au tour du ministre Ramano de flatter l’impartialité du DPP et d’applaudir le «retour de l’État de droit». Ce qui est positif : pas de pancartes à la gloire du GM et de bousculades devant la cour de justice. Ce qui est négatif : ces critiques, négatives ou positives, contre le DPP qui tendent à personnaliser, voire politiser, les dossiers en suspens… Et si demain, le DPP, après l’enquête policière, décidait de réinstruire le dossier contre Ramano, ce dernier dira quoi ? Que le DPP est le frère du leader de l’opposition ou le fils de sir Satcam…
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