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L’illusion
Beaucoup de personnes pensent que la situation est ‘presque’ normale, parce que le gouvernement et les autorités, dans leur sagesse à eux, ont fait tout leur possible pour essayer de garder l’illusion de la normalité : Wage Assistance Scheme (WAS), prêts à taux bonifiés à la DBM et ailleurs, moratoires recommandés dans les banques, mobilisation de Rs 60 milliards pour soutenir le budget du gouvernement, mobilisation de Rs 80 milliards pour la MIC pour essentiellement aider le tourisme et la zone franche quand systémiquement important, lois du travail solidifiées pour rendre les licenciements difficiles, sinon impossibles. En plus, dans le secteur gouvernemental et paragouvernemental rien, ou presque, n’a changé : les salaires sont pareils, les dépenses budgétaires n’auraient pas baissé de 20 % comme espéré par le ministre des Finances, la CSG n’a aucune incidence puisque payé par l’employeur seulement, et les syndicats réclament même leurs «droits acquis», PRB en tête ! Le Parlement est fermé, mais son train de vie (hormis les repas) reste identique. Cependant, cet air de normalité (je ne parle pas que du Parlement…) reste essentiellement une illusion.
C’est dans le secteur privé que l’on voit les vrais dégâts réels et à venir, même s’ils sont partiellement adoucis, notamment par le WAS. C’est pourtant le secteur que l’on choisit de taxer plus au même moment ! S’il y a des secteurs qui ne se portent probablement pas plus mal qu’avant (téléphonie, assurances, Netflix et apparentés, agriculture, énergie), le tourisme est au mouroir, la zone franche sérieusement secouée, le para-touristique, surtout au Sud-Est, est ébranlé pour de vrai… Voilà sans doute, en l’absence de chiffres précis, que seul semble détenir le gouvernement pour le moment, les deux extrêmes de la courbe de Gauss des dégâts Covid. Au milieu, dans la grande majorité des cas, l’activité économique a été freinée à divers degrés, ce qui fait que la cloche est clairement déportée vers le côté «ralentissement». L’industrie locale peine à divers degrés, le commerce est ralenti, le secteur bancaire domestique – ainsi que les maisons de crédit – est anxieux, puisque courant toujours derrière les retards de paiement accumulés durant le confinement. L’offshore est englué dans la mélasse de la liste noire, du moins pour un temps. Dans la construction, on semble pressé de terminer les chantiers qui étaient déjà entamés avant le 18 mars, mais pas du tout pressé pour la période d’après, même si la construction a été la vedette déclarée du dernier Budget. Vedette qui va assurer la relance ! On ne construira pourtant pas de nouveaux hôtels de sitôt, les grands travaux de mise à neuf sont renvoyés à plus tard et le secteur de l’immobilier destiné aux étrangers, en l’absence de visiteurs d’outre-mer, est en panne. Le chiffre d’affaires du transport est aujourd’hui partagé entre les bus et le métro et les deux se partageront donc aussi des pertes. À peine croyable : on construit un nouveau ‘shopping mall’ à Ébène ! On partagera aussi le chiffre d’affaires déjà réduit…, provoquant des pertes ? Faut-il rappeler que des 127 000 unités de production du pays en 2013, 51 800 étaient de simples employés à leur propre compte et que 60 800 étaient des microentreprises de pas plus de quatre employés et qu’elles étaient, en moyenne, trois fois moins productives que les plus grosses firmes ? (1). Comment se débrouillent-elles ? Mieux maintenant, vous croyez ?
Tous ces «ralentissements» ont des effets pervers en cascade. Les compagnies essaient évidemment de chatouiller leur chiffre d’affaires d’abord, mais rapidement sortent le bistouri. On surveille tout, de la papeterie au transport, des contrats de maintenance à la publicité, des sous-contracteurs à l’achat d’une photocopieuse ou d’un van. Les projets d’investissement sont regardés avec la loupe du scepticisme. On s’attaque aux employés moins performants et les premiers licenciements ont eu lieu tout doucement, en attendant janvier. Le crédit devient plus compliqué. L’accès aux devises aussi. Dans les magasins, on se rallie vers l’essentiel et le petit plaisir d’hier est maintenant souvent catalogué de «superflu». La fiscalité nouvelle, CSG et Solidarity Tax en tête, va passablement refroidir les porte-monnaie. Le pouvoir d’achat des expatriés et des touristes n’est plus là pour ajouter des couleurs aux tiroirs-caisses.
Renganaden Padayachy sait tout ça et peut-être même bien plus ! Il sait aussi que les évènements de ces derniers mois ainsi que les faux coups de barre du gouvernement (nominations népotiques, application inégale des lois, punition systématique de ceux qui ne chantent pas selon la partition «autorisée»), ont sérieusement érodé l’équation confiance du pays. Les équations sociales vont se fragiliser. Le ‘timing’ du Wakashio, doublé de celui du Sir Gaëtan, n’a rien arrangé.
Mais plus grave encore, c’est que les manifestations pacifiques monstres sont arrivées avant que les décisions difficiles et/ou controversées n’aient obligatoirement à être prises. La phrase «Whatever it takes» piquée au manuel d’opération de Mario Draghi, responsable de la Banque centrale européenne, alors qu’il protégeait l’euro, aide sûrement à renforcer encore plus l’illusion que nous pouvons protéger la santé de la population sans trop compromettre la santé économique de celle-ci, tout en payant nos rêves les plus fous. Ça ne tiendra malheureusement pas la route longtemps et il faudra bien, à la fois, le dire ouvertement et sérieusement corriger la manière de faire des autorités pour relancer la confiance !
Ce qui m’a pris 950 mots et que l’on peut détailler beaucoup plus longuement dans un rapport circonstancié ; le PM a commencé enfin à le dire dans sa réalité la plus crue. En 4 mots seulement : « Gato la pli tipti ! ».
C’est le début de la sortie de l’illusion et du retour à la réalité.
(1) http://documents1.worldbank.org/curated/en/181521561655338668/pdf/Job-Creation-and-Labor-Productivity-in-Mauritius.pdf
L'édito paru cette semaine dans Business Magazine
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