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Les scénarios de la guerre

14 février 2021, 18:45

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Pour les dizaines de milliers de citoyens-opposants à Port-Louis hier, la fin du gouvernement – voire la fin de l’empire – Jugnauth est proche. Pour eux, même si l’histoire prouve qu’un Premier ministre (SSR jusqu’en 1982) peut diriger le pays avec une majorité d’un seul siège à l’Assemblée nationale, les signes et les écrits sur les murs annoncent une implosion plutôt imminente qu’éloignée du gouvernement. Cet espoir, c’est l’élément aciérant qui a galvanisé les manifestants du 13 février, et avant eux, ceux du 29 août et du 12 septembre. Ainsi, la chute du gouvernement MSM, un peu comme celle du mur de Berlin en 1989, serait synonyme d’une victoire du peuple face à l’absolutisme. Ce qui ne serait certainement pas faux. Mais d’ici là, les pragmatistes insisteront que cet optimisme est démesuré. Car dans les faits, il n’y a pas un, mais trois scénarios possibles.

Scénario 1 (situation actuelle) : Pravind Jugnauth reste jusqu’en 2024

C’est un fait incontestable. Avec 43 sièges contre 27, Pravind Jugnauth jouit d’une majorité. Avec les mêmes chiffres, un autre gouvernement, moins miné par les scandales, la mauvaise gestion, le copinage, «la mafia», dans un pays moins exposé économiquement aurait mené une petite vie bien tranquille. Mais le gouvernement MSM étant ce qu’il est après à peine un an de son élection, cette majorité peut difficilement être qualifiée de confortable. Cela dit, il incombe à ses opposants d’inverser le rapport de forces en culbutant la pression des électeurs sur le dos des élus respectifs. Aussi longtemps qu’ils ne l’auront pas fait, ce sera le statu quo.

Et attention, Pravind Jugnauth – à l’instar de SSR et son magicien de Chief Whip Angidi Chettiar vers la fin des années 70 – a lui aussi le droit de débaucher parmi l’opposition. Play dirty ! Win dirty !

Scénario 2 : Pravind Jugnauth dissout l’Assemblée nationale pour éviter une motion de blâme

C’est ce que ferait tout Premier ministre s’il est sûr à 200% de ne pas survivre à une motion de blâme, qui en soi est un décompte des soutiens de chaque député pour vérifier que le Leader of the House dirige bien la majorité. Ce geste qui s’apparenterait à une véritable capitulation ne s’est jamais produit dans l’histoire du pays car le PM peut facilement sortir de ce marasme. En 1986 dans le sillage du séisme des Amsterdam Boys, pensant ne plus commander la majorité après les défections de Boodhoo, Gayan et autres, sir Anerood Jugnauth avait simplement bloqué les séances de l’Assemblée nationale pendant plusieurs mois. Pas de séances, pas de députés, et pas de députés, pas de motion de blâme. The PM takes it all !

Scénario 3 : Une nouvelle majorité après une motion de blâme suivant des défections

Une private prosecution concluante pour faux affidavit à la lumière des Kistnen Papers, une accusation formelle sur Angus Road, ou un autre scandale menant à encore des défections style-Bodha est susceptible d’être cette étincelle pouvant provoquer le feu d’artifice que serait cette éventualité. Mais pour éviter cela, Pravind Jugnauth peut avoir recours aux outils du scénario 2. L’autre grain de sable de cette improbable machinerie s’appelle Prithviraj Roopun. C’est le président de la République qui nomme le nouveau chef de la majorité ! Ouch !

Ensuite, idéaliser ce scénario sans en baliser les contours et les répercussions à court et moyen termes serait tout aussi dangereux que le gouvernement MSM lui-même. Car dans l’antichambre du pouvoir on retrouve plus des alternances que des alternatives politiques (voir notre analyse des forces et faiblesses d’une éventuelle alliance PTr-MMM-PMSD-Reform ici.) La démocratie voudrait que l’éventuel nouveau chef de la nouvelle majorité constitue un caretaker government avec des salaires massivement réduits aux caretaker ministers. Cette démocratie souhaiterait aussi une dissolution immédiate de l’Assemblée nationale – après tout ils accusent tous Pravind Jugnauth d’avoir truqué les élections – et accorde le maximum de temps (3 mois) pour la campagne électorale. Les snap elections (campagne courte de 4 semaines) n’ont fait que desservir les intérêts de certains.

Car ce pays post-Jugnauth, que ce soit en 2021 ou en 2024, aura besoin de calme et sérénité pour réfléchir à son avenir. Il faudra donner le temps à chacun de se positionner, d’émerger, de s’allier, d’établir et d’expliquer son programme pour une nouvelle île Maurice. Les jeunes, la société civile, les syndicats, les étudiants, les professionnels, les ouvriers, les artisans de ce pays méritent d’avoir le choix et le temps pour l’exercer. Voilà ce qu’on attendrait de celui qui commanderait une nouvelle majorité. Car lui aussi serait un Premier ministre illégitime, avec le poste de PM représentant un butin de guerre volé… au peuple !