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La loi du plus fort…
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La loi du plus fort…
… opère encore et toujours, et c’est bien ce qui a déjà, plus d’une fois, inquiété et qui devrait continuer à inquiéter la minuscule économie qu’est celle de notre pays, dans des accords commerciaux avec les «grands» de ce monde.
Si nous aimons bien, comme tous les pays de la planète d’ailleurs, bomber notre torse de fierté quand on en a l’occasion (nous sommes 61e mondial en termes de PIB/tête et avons été brièvement high income), nous sommes véritablement une petite économie. Même une toute petite économie. Selon les estimations du Fonds monétaire international pour l’année calendaire 2020, Maurice était au 137e rang mondial avec 11,341 milliards de dollars, les pays qui nous suivaient étant, à quelques exceptions près comme le Rwanda (141e), la Namibie (142e), le Congo (144e), des pays à très faible population – fréquemment des îles comme nous – ou des pays criblés de problèmes politiques ou militaires depuis des années (Somalie (154e), Soudan du Sud (157e) ou la Gambie (172e).
«Ni l’Inde, ni la Chine ne sont particulièrement chatouillés par la taille de notre marché local ; ce qui les intéresse, c’est le rôle de conduit possible de Maurice sur l’Afrique…»
Cette réalité doit être rappelée à nouveau cette semaine alors que nous avons signé un nouvel accord de libre-échange, celui-ci avec l’Inde, après celui qui nous ouvrait au marché africain à partir du 1er janvier 2021 (l’African Continental Free Trade Area ou l’AfCFTA, signé par 54 des 55 pays africains et ratifié par 31 d’entre eux à ce stade) et l’accord commercial signé avec la Chine en 2019 qui a aussi pris effet le 1er janvier dernier.
En effet, a priori, un Free Trade Agreement devrait faire peur aux producteurs d’un petit pays. Pour des raisons d’accès plus facile aux matières premières ou à l’énergie, ou à cause des économies d’échelle offertes par de plus grosses économies, un accord commercial avec de grands pays comme l’Inde, la Chine ou même certains pays d’Afrique qui, de plus, bénéficient de main-d’œuvre moins coûteuse ou plus productive, peut paraître potentiellement suicidaire ! C’est d’autant plus vrai dans les secteurs où les deux signataires de l’accord produisent, a priori, les mêmes types de produits (ex : le textile, le thé) qui vont donc se faire concurrence ou si la plus grosse économie des deux obtient une pénétration de marché qui lui est favorable dans un secteur qui est stratégiquement important pour le petit pays qu’est Maurice (la production agricole, pierre angulaire d’une plus grande indépendance alimentaire, par exemple). Le choix des items couverts par de tels accords, choix des politiciens et de leurs commis du moment, est donc capital et délicat. C’est peut-être pourquoi les discussions CECPA, qui auront débuté en 2003, ont pris autant de temps pour se concrétiser ? Peut-être aussi que le CECPA se signe enfin, cette semaine, parce que provoqué par le démarrage de l’AfCFTA et de la FTA chinoise cette année-ci ?
En effet, l’Inde ne pouvait se laisser distancer parce que la Chine entrevoit comme une avancée stratégique importante sur l’Afrique. Car ce qu’il faut comprendre, c’est que ni l’Inde, ni la Chine ne sont particulièrement chatouillés par la taille de notre marché local ! Ce qui les intéresse, par contre, c’est le rôle de conduit possible de Maurice sur l’Afrique, maintenant qu’en plus, l’AfCFTA est activé…
«Si nous jouons nos cartes correctement et professionnellement, les accords avec l’Afrique, la Chine et l’Inde peuvent former, pour Maurice, un canevas extraordinairement porteur pour le commerce, l’industrialisation, les finances et la réexportation de certains produits et services»
Le World Economic Forum (WEF) ne s’y trompe pas*. Faisant le point le 15 février dernier, le WEF souligne d’abord que la Chine, membre de l’OMC depuis 2001 seulement, a toujours préféré initier son intérêt pour des marchés géographiques particuliers en signant d’abord un premier accord avec un petit pays, relativement bien outillé, qui va, en amont, lui permettre de comprendre la région, avant de lui ouvrir des portes. Le tout premier exemple en est l’accord commercial signé avec la Nouvelle-Zélande en 2008. Ce n’est qu’en 2015, après avoir bien assimilé la région qui l’intéressait et ses pratiques, que des accords furent signés avec l’Australie, puis la Corée du Sud. Un accord multilatéral a maintenant suivi en novembre 2020, regroupant 15 économies de l’Asie-Pacifique ; le Regional Comprehensive Economic Partnership, accord dont le chef d’orchestre est la Chine et qui prend le relais du Trans Pacific Partnership initié par Obama pour asseoir l’influence américaine sans la Chine et stupidement sabordé par Trump en 2017.
Pour avancer ses pions en Europe, où la grande complexité de négociations avec l’Union européenne allait obligatoirement retarder les discussions, la Chine signait d’abord avec… l’Islande en 2013, menant finalement à l’accord sur les investissements UE-Chine de décembre 2020.
C’est la même approche que le World Economic Forum entrevoit dans l’accord commercial Maurice-Chine, Maurice étant perçue comme la «porte latérale» idéale pour d’abord comprendre et ensuite structurer et ouvrir le marché africain qui fait déjà 3 trillions de dollars et qui, sauf déraillement majeur par Covid (un vrai risque, malheureusement !), est perçu comme un sérieux marché d’avenir. L’accord avec la Chine prévoit d’ailleurs aussi l’utilisation de Port-Louis comme une «clearing and settlement facility» pour le renminbi et le partage d’innovations dans la fintech. Il est vrai que la Chine n’a pas besoin de Maurice pour pénétrer l’Afrique ! Elle y a déjà beaucoup investi et opère, par exemple, plus de 25 zones franches et y est représentée par plus de 10 000 compagnies brassant plus de 2 trillions de dollars de chiffre d’affaires depuis 2005, selon McKinsey. L’Inde, sous le chapiteau des «Ten guiding principles for India-Africa engagement», évoque déjà 69 milliards de dollars de commerce bilatéral annuel et a des ambitions pour bien plus. Avec ou sans Maurice. Mais avec Maurice, ça va certainement faciliter certaines opérations et mieux promouvoir certains intérêts**.
L’appétit est clair. Si nous jouons nos cartes correctement et professionnellement, les trois accords dont on parle plus haut peuvent former, pour Maurice, un canevas extraordinairement porteur pour le commerce, l’industrialisation, les finances et la réexportation de certains produits industriels et de services divers.
Maurice petit frère, il est vrai par alliance, de l’Afrique, de l’Inde et de la Chine, a bien des idées à caresser et bien des positions à prendre. Espérons que nous saurons nous affranchir de nos listes noires et de nos médiocrités diverses et que nous serons finalement à la hauteur requise par la situation !
*https://www.weforum.org/agenda/2021/02/why-china-mauritius-trade-deal-matters/
** «We have no eternal allies, and we have no perpetual enemies. Our interests are eternal and perpetual, and those interests, it is our duty to follow», déclarait Lord Palmerston au Parlement britannique en 1848. Ça a changé depuis ?
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