Publicité

Oh Lord !

14 juillet 2021, 07:54

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Le débat sur la MIC est intéressant à plus d’un titre. D’une part, les partisans de l’orthodoxie, menés en cela par le FMI et la Banque mondiale, s’insurgent contre l’utilisation des réserves de devises nationales pour intervenir directement dans l’économie productive. Il y a bien des raisons à cette posture. D’abord, l’image d’indépendance de la Banque centrale qui en prend un sacré coup. Ensuite, il faut reconnaître que «nos» réserves de devises sont passablement fragiles puisque fortement dépendantes de l’offshore, au vu de notre balance des comptes courants déficitaire désormais à presque 13 % du PIB. Sans compter que la raison principale de ces réserves, de prime abord, c’est d’assurer les besoins externes du pays (importations, remboursements d’emprunts, etc.) plutôt que de voir la Banque centrale, même indirectement, se mêler de financer des compagnies privées, elles-mêmes clientes des banques qu’elle régule, est a priori troublant.

Ce qui met tout le monde d’accord au départ, c’est que le coronavirus a créé, depuis mars 2020, une situation absolument extraordinaire qui demandait, par la même, des solutions hors du commun. Dans le cas de notre pays, il faut aussi souligner que les finances de l’État à cette date avaient déjà été plutôt fragilisées, l’endettement national (avant SPV) ayant alors dépassé 65 % du PIB, la croissance ayant chuté à 3 % et les promesses électorales, notamment sur les pensions, devant encore être digérées ; réduisant sérieusement la marge de manœuvre budgétaire à un moment où une dette nationale de plus de 60 % du PIB faisait frémir de terreur !

Depuis, les taux d’intérêt de par le monde se sont effondrés et partout sur la planète, les gouvernements se sont révélés tant inventifs que massivement décisifs dans leurs interventions en soutien de leur économie. Maurice fait d’ailleurs partie des pays ayant mobilisé la plus forte proportion du PIB pour combattre l’effet Covid : 34 % en tout; 13 % représentant des transferts de la Banque centrale au budget national et 17 % de plus ayant ensemencé la MIC pour Rs 80 milliards, la MIC étant explicitement subsidiaire de la Banque centrale.

Le manque de transparence grandissant dans le pays fait que nous ne savons pas grand-chose des financements faits par la MIC, à part quelques communiqués officiels de certains bénéficiaires. Le site web de la MIC indique des financements approuvés de Rs 21,9 milliards, dont Rs 9,1 milliards étaient décaissées au 30 juin. Lord Desai, dans une récente interview au Mauritius Times, indique que 60 compagnies sont concernées. On nous a aussi annoncé il y a quelque temps que les demandes de soutien ne seraient désormais plus recevables, ce qui est sans doute lié à la réouverture de l’aéroport et à une économie qui va, selon Statistics Mauritius 2.0, générer 5,4 % de croissance en 2021. Quel est le volume de demandes de soutien en attente ? On ne sait pas, mais le total de décaissements de soutien au titre du Covid sera, probablement, bien en-deçà de la moitié des Rs 80 milliards destinées à la MIC à l’origine. Les Special Funds du Budget vers lesquels on transfère des sommes non négligeables n’arrangent pas l’image de transparence…

 

«Les Moody’s de ce monde écoutent aussi plutôt le FMI que Desai. C’est la réalité du monde.»

 

Qu’il fallait soutenir est clair à un moment où l’économie, surtout le tourisme, était (et est toujours) en panne. Le FMI n’est pas contre ce soutien, mais exige que cela soit fait sous «the budgetary process». Le FMI pense même qu’il y avait mieux à faire et suggère qu’il eût été préférable, notamment parce que cela aiderait à éponger les excédents de liquidités qui existent déjà dans les circuits bancaires (plutôt qu’à en créer), que ces financements de soutien aient été faits par les banques elles-mêmes, avec l’aval du gouvernement… Question d’indépendance décisionnelle, ça aurait pu être beaucoup plus problématique, malheureusement! Vous imaginez les discussions sur la souveraineté du Parlement si les pouvoirs décisionnels avaient été transférés à exactement la même structure que celle que préside Lord Desai, avec exactement les mêmes membres ?

Lord Desai n’a, par contre, fidèle à son parcours, pas hésité à lancer la controverse. «As long as it benefits the people of Mauritius, who cares what the IMF says !?», affirme-t-il avec un bonheur non déguisé concernant son modèle de la MIC. S’il est vrai que le FMI est souvent prisonnier de modèles et qu’il change parfois d’opinion, il reste, avec la Banque mondiale, une référence au niveau des études entreprises et des constats économiques qui sont sans pareils et qui influencent les marchés mondiaux. L’équivalent de cette claque de Desai peut, d’ailleurs, lui être retournée sur la même tangente désobligeante, n’est-ce pas : «Who cares what Desai thinks!» et nous, Mauriciens, serions avancés à quoi exactement ? Ce qui est certain c’est que le FMI et la Banque mondiale ont des lignes de crédit qui pourraient nous être nécessaires un jour ce que Desai ne possède évidemment pas. Les Moody’s de ce monde écoutent aussi plutôt le FMI que Desai. C’est la réalité du monde.

Plus important (et inquiétant) pour moi est le commentaire de Lord Desai en réponse à la troisième question qui lui est posée. «I have been very proud to be part of the MIC experiment.» Avec l’accent sur le mot «experiment». Et d’ajouter que «Mauritius has been one of the first countries to adopt a radical proposal like MIC. The proof of the pudding is in the eating: companies have been saved, jobs have been saved», ce qui soulève évidemment la question de savoir quels sont ces autres pays avec lesquels on partage cette «experience» et comment effectivement mesurer le «proof of the pudding».

Car si des emplois et des compagnies ont été, pour le moment, sauvées, l’équivalent pouvait sûrement se concrétiser, tout aussi bien, pour les mêmes sommes selon les prescriptions du FMI ?

En vérité, ce n’est que dans sept ans, qu’un «cost/benefit» méticuleux pourra nous dire si les «lockdowns» étaient «justifiés» économiquement et si l’expérience de la MIC était une meilleure solution que celles, plus orthodoxes, adoptées par le reste du monde et qui, soudain et à la faveur de taux d’intérêt au plancher, peuvent crever tous les plafonds.

Qui fera d’ailleurs ce constat ? Le choix entre Lord Desai, alors âgé de 88 ans, et le FMI va être crucial. À moins que ce ne soient nos amis de Beijing ou de Delhi desquels nous nous serions rapprochés ? Ce qui est sûr, c’est que, quelque part, on épiloguera sur la productivité et la compétitivité nationales et notre capacité à couvrir nos besoins en devises sans trop dépendre de l’étranger.

Voilà, crucialement, de quoi va dépendre notre «Pass» ou notre «Fail».