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Qui donne les médailles aux patriotes ?

20 septembre 2021, 10:53

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Ne pouvant réfuter les faits relatifs au Covid-19, d’aucuns tentent de jouer sur la fibre émotionnelle en désignant, sur la place publique, les «antipatriotes» à être fusillés. Grands, moyens et petits patrons du secteur privé, Premier ministre et ministres, transfuges ou valets au service d’une dynastie, regroupements privé-GM du genre Business Mauritius, nominés politiques-chatwa qui doivent tenter de justifier les centaines de millions (de notre argent, svp !) qu’ils gaspillent/pillent, pratiquement tous brandissent le mot magique: «patriotisme». Comme s’ils en avaient le monopole, ou peut-être pensent-ils, pour reprendre George Bernard Shaw, que le patriotisme signifie que ce pays se doit d’être supérieur à tous les autres, parce que nous y sommes nés ou que nous y vivons. Et que nous, journalistes, par chauvinisme, on devrait cacher les faits, les incohérences, les manquements du régime en place, comme le ferait la MBC, par exemple. Avec cette définition de «patriotisme», ce n’est guère surprenant qu’on soit sorti de la route de la démocratisation pour emprunter celle de l’autocratisation.

De facto, on devrait, en «patriotes» en quête d’une décoration au château du Réduit ou d’une place dans une institution publique ou parapublique, fermer notre gueule et applaudir ce régime – qui, on a tendance à l’oublier, ne représente pas plus de 37 % des votes aux dernières élections.

Du haut du fly-over de Phoenix, qu’il inaugurait hier, Pravind Jugnauth a passé davantage de temps à critiquer l’express qu’à parler des infrastructures routières, de la réouverture des frontières et de la situation économique ou sanitaire. En bon patriote, qui case ses proches dans toutes les institutions stratégiques du pays, le leader du MSM nous a infligé une leçon de journalisme patriotique, qui pourrait, si on l’appliquait, faire débarquer les touristes, par hordes. Donc si vous (employés d’hôtels, opérateurs de bateaux de plaisance, chauffeurs de taxi, tour-opérateurs, marchands de coquillages, propriétaires de restaurants) souffrez, parce que les touristes ne viennent pas, les autorités, patriotiques forcément, et l’industrie du voyage, mise KO par le Covid-19, n’y sont ou seront pour rien. La faute à la presse «anti-patriotique» !

Les définitions du terme «patriotisme» abondent. Je suis sûr que Steve Obeegadoo, l’ancien militant devenu porte-parole du Sun Trust, ne fait plus allusion à la définition du 18e siècle. En 1789, les patriotes étaient alors les partisans des idées réformatrices portées par la Révolution – par opposition à l’aristocratie. Ils étaient des révolutionnaires qui voulaient changer la donne, et non pas faire fructifier, à la manière de nos chatwa modernes, la fortune des classes possédantes, en faisant courbette sur courbette.

Dans le temps, comme nous le rappelle George Orwell (dans «1984», publié en 1949), il n’était pas important que les prolétaires puissent avoir des sentiments politiques profonds. Tout ce qu’on leur réclamait, c’était une sorte de patriotisme primitif auquel on pouvait faire appel à chaque fois qu’il était nécessaire de leur faire accepter l’inacceptable. «Ainsi, même quand ils se fâchaient, comme ils le faisaient parfois, leur mécontentement ne menait nulle part car il n’était pas soutenu par des idées générales. Ils ne pouvaient le concentrer que sur des griefs personnels et sans importance. Les maux les plus grands échappaient invariablement à leur attention.» Un peu comme la foule qui va remplir le Sun Trust dans l’espoir de recueillir les miettes des prébendes.

Pourtant un patriote n’a pas besoin de brandir le quadricolore et de se dire patriote. Il respecte l’indépendance des institutions et ne nomme pas ses proches pour verrouiller le pouvoir – et la démocratie avec. Car le patriotisme, selon là où l’on se place, devient souvent «le dernier refuge des coquins, mais aussi le premier piédestal des naïfs et le reposoir favori des imbéciles»…