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La culture «kokin»
À chaque fois qu’on croit avoir touché le fond, on découvre que l’abîme est sans fin. Comme s’il n’y a vraiment aucun espoir de sortir de cette crasse dans laquelle on nous plonge. Comme s’il n’y a aucune honte, aucune pudeur à s’emparer de l’argent public sur le dos d’une population angoissée comptant douloureusement ses morts de Covid-19.
Et que dire de la façon dont on nous infantilise avec toutes sortes de bêtises inacceptables ? À l’exemple des explications de Jagutpal qui, interrogé sur le nouveau scandale du jour (achats des médicaments Molnupiravir) et incapable de répondre lors de la question parlementaire initiale, a dû revenir par la suite (par le biais d’un statement – «du jamais vu», dixit Bérenger) pour essayer de justifier l’injustifiable.
On devine qu’entre la difficulté de Jagutpal à répondre, ses tâtonnements et ses tergiversations face à la question hautement pertinente du leader de l’opposition Xavier Luc Duval vendredi matin et l’urgent statement du soir, le gouvernement a pris la mesure de l’indignation qui avait déjà gagné une population ahurie assistant, une deuxième fois, à la pratique d’un business vile et inadmissible.
Le ministre Jagutpal a beau tenter de faire du damage control lors de ses explications vendredi soir, indiquant qu’il y avait une urgence dans le pays et qu’il fallait à tout prix passer des commandes, rien ne pourra justifier le fait que le prix d’un médicament passe de Rs 9,30 à Rs 79,92 en 24 heures. Et les questions, qu’elles soient du leader de l’opposition ou de l’opinion publique, méritent des réponses. Pour quelles raisons le ministère n’a-t-il pas passé sa commande avec le même fournisseur qui proposait la pilule à Rs 9,30 ? Pourquoi les autres soumissionnaires qui avaient demandé des prix moins élevés que Rs 79,90 n’ont-ils pas été contactés ? Y avait-il d’autres options que de choisir cette compagnie qui, semble-t-il, a ses entrées dans plusieurs ministères au travers de contrats de gardiennage ?
Au fond, cette affaire n’est qu’une répétition de ce qui s’est passé l’an dernier avec tous ces gros contrats alloués aux petits copains pendant le couvre-feu sanitaire. On connaît la suite : réception de respirateurs défectueux, des compagnies qui n’avaient aucune expérience dans le domaine de la santé et qui ont bénéficié d’incroyables privilèges et quelques directeurs qui ont été – pour la galerie – arrêtés par l’ICAC, bouclier protégeant ceux qui ne veulent pas rendre des comptes.
Si l’an dernier, on apprenait de Bissoon Mugroo, homme d’affaire qui avait obtenu un contrat pour l’achat des équipements médicaux, qu’il avait lui-même sollicité le ministère de la Santé car ayant deviné que les Mauriciens allaient avoir besoin de masques, et que pour pouvoir anticiper les besoins du ministère, il ne fallait pas «met delwil dan zorey», cette année, c’est la compagnie CPN Distributors Ltd qui a devancé les besoins du ministère de la Santé !
À écouter Jagutpal, il ne s’agit pas d’une «offre non sollicitée» – comme le dit le leader de l’opposition – mais la compagnie CPN Distributors avait informé le ministère qu’elle avait du Molnupiravir en stock. N’est-ce pas là un autre exemple de ceux qui ne mettent pas «delwil dan zorey», ces esprits toujours bien connectés au pouvoir qui ont des pressentiments se révélant exacts pour faire en avance des stocks qui sont ensuite vendus au gouvernement ? Est-ce que cette compagnie était au courant de l’intention du gouvernement d’acheter un million de doses de Mulnipiravir ? se demande avec raison Duval.
Si le ministre Jagutpal donne comme unique justificatif de l’achat, l’urgence de la situation – comme c’était le cas pour toutes les transactions condamnables de l’an dernier, alors que des rapaces se faisaient des profits sur le dos des contribuables, il est salutaire que le leader de l’opposition annonce, lors de la conférence de presse de ce samedi, qu’il continue à recevoir d’autres informations sur cette affaire et qu’il reviendra à la charge.
S’il est important que nous suivions de près ce nouveau scandale tout en gardant notre vigilance citoyenne, c’est aussi parce que nous sommes dans une situation où le gouvernement essaie par tous les moyens de faire taire les voix démocratiques. Une fois encore, alors même que les élus de la majorité peinent à donner des réponses au Parlement, le Speaker a jugé utile de suspendre le leader du MMM (Bérenger) et le député Mohamed (PTr) pour les quatre prochaines séances. Si ce n’est pas de l’abus de pouvoir de la part de Phokeer, on se demande ce que c’est.
C’est dire que ces secousses que nous traversons justifient toutes ces manifestations citoyennes – dont le rallye pour la liberté d’expression ce samedi – face à une bande au pouvoir qui gagneraient à arrêter de nous prendre pour des imbéciles…
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