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Ambitions démesurées
Les vifs échanges entre Shakeel Mohamed et Roshi Bhadain, sur les ondes de Radio-Plus, ont (désagréablement) surpris et ont surtout plongé l’opposition dans une incertitude encore plus grande. Ils dévoilent de manière crue le manque de cohésion et l’insécurité parmi les seconds-couteaux alors que Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ont recommencé leurs séances de tête-à-tête par-dessus le mur mitoyen de River Walk. Qui aura le dernier mot lors des débats pour déterminer si Roshi Bhadain ou Shakeel Mohamed aura un ticket aux législatives 2024 ? Ou si Reza Uteem les devancera dans la hiérarchie d’un gouvernement d’alternance PTr-MMM-PMSD ?
Ce sont de telles questions de position et d’égo qui trottent dans la tête des dirigeants de l’opposition, même s’ils font des conférences de presse ou des communiqués pour la galerie, en parlant, comme hier, de la situation sanitaire qui s’améliore et de la réouverture complète des frontières «afin de sauver l’économie mauricienne et les PME en particulier, à genoux depuis deux ans». Il faut bien que la plateforme de l’Espoir meuble, quitte à souligner l’évidence, en attendant que la situation se décante.
Quand cela les arrange, Ramgoolam et Bérenger aiment bien se réfugier derrière les structures de leur parti, mais au fond l’on sait bien qu’ils règnent, chacun, en maître absolu, incontesté, au sein de leur parti politique respectif qu’ils ont du reste taillé à leur juste mesure. Mais leurs retrouvailles aujourd’hui se heurtent à deux obstacles de taille.
1) Il y a d’abord le poste de leader de l’opposition, qui a été remis sur la table par Xavier-Luc Duval depuis un mois déjà. Personne ne semble pressé à prendre le poste qui risque surtout de générer des crises internes au PTr ou au MMM. À la rigueur, Ramgoolam et Bérenger vont laisser traîner les choses, en attendant la reprise parlementaire. Si le PTr confie le rôle de chef de l’opposition à Arvin Boolell, les Ramgoolamistes purs et durs ne seront sans doute pas contents. Mais le problème se trouve ailleurs. Si Boolell (re)devient leader de l’opposition, il va falloir donner le poste de whip de l’opposition au MMM (peut-être à Reza Uteem) et celui de président du Public Accounts Committee au PMSD (probablement XavierDuval lui-même). Ce remue-ménage va soulever d’autres questions par rapport aux municipales, au prochain programme gouvernemental, à la répartition des tickets et à la hiérarchie gouvernementale du cabinet-fantôme. Déjà c’était un casse-tête entre Rouges et Mauves, maintenant imaginez ce que cela sera comme basse-cour s’il faudrait aussi accomoder le PMSD, Roshi Bhadain et Nando Bodha...
2) Il y a ensuite la divergence profonde entre le PTr qui pense que les dernières élections étaient frauduleuses et qu’Irfan Rahman devrait partir (à l’exception de Shakeel Mohamed qui, lui, défend bec et ongle le commissaire électoral, qui est par ailleurs son cousin) et le MMM qui a toujours prôné le respect du verdict des urnes. Le parti mauve était quelque part gêné par la pétition électorale de Jenny Adebiro, mais a quand même suivi le travail de fond abattu par Me Gavin Glover pour les candidats travaillistes pour ne pas se désolidariser de l’opposition, sans qui les Mauves seraient inexistants en région rurale.
La réconciliation de l’opposition passera par la résolution des deux dilemmes. Il ne sert à rien pour Mohamed et Bhadain de s’agiter puisqu’ils n’ont pas toutes les cartes en main. Même Xavier Duval a compris qu’il vaut mieux se faire discret ou se taire, en attendant que les deux voisins finalisent leur énième union...
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Et alors que l’opposition patauge dans l’incertitude, le pouvoir, lui, table sur les frustrations au sein des partis de l’opposition. Et ils sont nombreux ces politiciens qui traversent le désert depuis 2014 et qui ont faim ou soif. Les stratèges du Sun Trust sont des carnassiers et savent que les temps sont dûrs. Ils ont identifié les politiciens les plus vulnérables et font miroiter la carotte afin qu’ils marchent en direction du Sun Trust. En annonçant chaque semaine au moins une défection au sein de l’opposition et de nouveaux adhérents au MSM, ils pensent pouvoir retarder l’usure du pouvoir de la dynastie Jugnauth.
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Au final, la seule motivation pour s’éloigner d’un parti politique auquel on est affilié était axée sur des raisons purement intéressées, personnelles, souvent financières. C’est devenu rare que l’on se démarque de «son parti» pour des raisons de conviction, même si les démissionnaires, lors de leur conférence de presse, nous disent souvent le contraire. Il ne faut pas non plus minimiser la nuisance des «tapeurs» vocaux qui défendent aveuglément leur leader, car dépourvus de bon sens et d’esprit critique. Ils aiment cultiver une vision manichéenne et une ambiance tendue. Ils sont pour la simplification extrême des faits. Leur leader aurait la science infuse et il suffit, selon eux, de le laisser nous guider. Ces «die hard» empêchent les débats contradictoires. Ils ont déjà commencé le travail pour liquider Mohamed ou Bhadain le moment voulu. Car tous deux auraient des ambitions jugées démesurées. Et ils pourraient nuire au leader.
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