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Shrapnels Ukrainiens

13 mars 2022, 09:26

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La volonté de M. Poutine de reconstituer l’URSS à sa réalité d’avant 1991, par la force des armes, n’est pas acceptable car elle enfante le risque potentiel que beaucoup d’autres pourraient, citant ce précédent, vouloir redessiner le monde !

Le Mexique pourrait peut-être être raisonnable et ne pas essayer de reprendre l’Alamo et le Texas. En effet, ce genre de tentation se concrétise généralement parce que l’on croit être le plus fort et aucun général Santa Anna moderne ne peut, d’aucune manière, se croire en bonne position face aux États-Unis… Par contre, avec un leadership dans le même moule que celui de Poutine, on pourrait revoir l’Italie en Libye pour rétablir sa conquête de 1911 dans la Tripolitaine et le Cyrénaïque, voire confirmer la réalité historique de la Libye antique comme un territoire de l’empire romain ! La Chine pourrait tenter de rétablir l’empire Han en Corée du Nord et dans le nord du Vietnam, voire renouer avec l’expansion réussie de l’empire Qing en Mongolie, au Kazakhstan, au Tadjikistan, au Kyrgyzstan et renouveler et compléter les tentatives de conquête sur Sakhalin et au Kashmir ? C’est à cette époque d’ailleurs que des loyalistes Qing envahissaient Taïwan, délogeant les colons hollandais... La France pourrait réclamer Genève et l’Egypte reprendre la Nubie soudanaise ? Et si, exerçant la loi du plus fort, les Britanniques, plutôt que de subir l’opprobre du monde pour leur comportement ‘colonialiste’ aux Chagos, débarquaient des troupes à Cap-Malheureux, comme en 1810, et reprenaient le contrôle de Maurice ? Qui s’y opposerait ? La SMF ? Pour faire bonne mesure, peut-être qu’un de nos dirigeants pourrait s’inspirer de l’initiative de Poutine pour reprendre le contrôle des Seychelles, comme c’était avant 1903 ?

Comme le soulignait si bien l’ambassadeur kényan aux Nations unies lors de récents débats (*), les nations du monde signent la charte des Nations unies et décident ainsi de respecter les frontières existantes, non pas parce qu’elles sont les plus appropriées, quel que soit le critère linguistique, culturel, tribal, religieux ou autre, mais parce que le respect des frontières existantes est notre meilleure assurance pour la paix. “Rather than… looking ever backwards into history, with a dangerous nostalgia, arguait-il… We chose to follow the rules of the OAU and the UN charter not because our borders satisfied us, but because we wanted something greater, forged in peace.”

La Russie de Poutine est signataire de la charte des Nations unies. Qu’est-ce qu’elle n’a pas compris que comprend le Kenya ?

La pensée conventionnelle est que les sanctions économiques de l’Ouest et, principalement les sanctions américaines extrêmement sévères, vont ‘‘casser les reins’’ à l’économie russe à court et à moyen termes. C’est probable, mais ce ne sera sûrement pas sans casse pour le reste de l’économie mondiale non plus.

Il y a cependant un scénario alternatif qui circule sur le Net ces jours-ci et qui propose l’idée que l’Ouest est, en fait, tombé dans un piège, que l’invasion de l’Ukraine s’est faite délibérément pour provoquer les sanctions, ce qui permettra à la Russie, la Chine, voire l’Inde, de se libérer du joug du dollar et du pétrodollar !

La théorie est que l’exclusion de SWIFT était attendue et que la fermeture des pipelines de gaz et de pétrole vers l’Europe va causer des hausses massives de prix, pour lesquelles la Russie était prête à récolter, même si elle s’était, en parallèle, constitué des réserves importantes de yuan, d’or et de commodités. La thèse poursuit que les Russes et leurs alliés chinois cherchaient un moyen de remonétiser l’or et d’échapper aussi aux abus du système SWIFT, qui était utilisé comme un outil géopolitique contre eux. Les Russes ayant entre-temps développé SPFS, qui est l’équivalent rouble de SWIFT, espèreraient être connectés au CIPS Yuan, puis éventuellement au SFMS indien pour alors défier la suprématie du dollar/SWIFT dans les transactions commerciales mondiales et ainsi mettre un terme à une des grandes forces des Américains, c.-à-d. l’hégémonie du dollar, qui leur assure des endettements massifs à relativement bon marché…

Kishore Mabhubani évoquait dans son livre Has China Won ? cette vulnérabilité des Américains qui à force de sanctions et de saisies, affaiblissaient, selon lui, la force du dollar comme monnaie refuge et poussaient ses concurrents directs à chercher une alternative à SWIFT et au dollar. Au prétexte de l’Ukraine, selon cette théorie, la Russie, la Chine et l’Inde pourraient fracturer l’ordre mondial actuel du pétrodollar, sans trop de casse notamment pour ces deux derniers pays qui n’auraient pas, au départ, directement ‘provoqué’ les Américains…

Que les Américains mettent fin à l’importation de pétrole russe n’aura que peu d’effet volumétrique sur leurs consommateurs, ces importations représentant 3 % seulement de leurs importations totales. L’Europe, en revanche, dépend des Russes pour 40 % de ses besoins en gaz de chauffe et 25 % de ses importations de pétrole et maintenant que Nord Stream 2 ne sera pas activé, les Européens disent vouloir réduire leur dépendance énergétique russe par 2/3 cette année même. Il est clair que l’on peut entrevoir, en contrepartie, la Chine prenant le relais pour importer l’énergie russe que n’achèterait plus l’Europe et donc un vaste musical chair ; la Chine terminant, par la même, une partie de ses importations du Moyen-Orient, par exemple, qui réorienterait ainsi ses exportations vers l’Ouest. En attendant le baril de Brent qui était à 78 $ en janvier et pointait à 130 $ le 8 mars, retombait à 111 $ vendredi.

La théorie est au moins intellectuellement intéressante. Les hypothèses, pour plausibles qu’elles pourraient être, sont nombreuses et annonciatrices de bouleversements profonds, dont un monde bipolaire. Mais quand la ‘thèse’ se présente sous la forme d’une série de tweets sous la signature plutôt angoissante de «FREAKZILLA TBE», sous un double pavillon pakistanais et russe, on pourrait conclure à de l’affabulation pure. Ou à un rêve inassouvi. L’avenir nous renseignera plus avant.

En attendant, ce que Poutine décrit comme la ‘guerre’ économique contre son pays se poursuit, alors que lui n’est toujours pas apparemment en ‘guerre’ (le dire en Russie mène désormais à 15 ans de prison ferme (**) !). Si cette guerre-là ne détruira pas des hôpitaux et des appartements civils, ça va clairement toucher des vies, le rouble étant en chute libre et la bourse de Moscou étant fermée depuis deux semaines, avec une pléthore de compagnies étrangères qui plient bagage ! D’autre part, si les mesures de l’Ouest contre les oligarques, d’Usmanov à Abramovich, mordent sévèrement, on peut se demander pourquoi ces mêmes oligarques ont été accueillis pendant des années sans alors être considérés susceptibles d’être des ‘criminels’ ? M. Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe, pose le problème comme suit : les droits à la propriété personnelle, la présomption d’innocence, l’État de droit sur lesquels comptaient les oligarques ne s’appliquent-ils pas à tous ? En réplique, M. Poutine menace de ne plus jamais faire confiance à ses ‘partenaires’ de l’Ouest et de nationaliser les compagnies étrangères en Russie… Il est vrai que nous nageons, ici, dans un océan de fausse équivalence. Après tout, il n’y a qu’un agresseur, qu’un seul envahisseur au départ ; l’Ukraine ayant été seulement décrétée agresseur ‘potentiel’, un jour dans le futur, si…

La Russie était seulement la 11e économie du monde jusqu’à récemment, soit une économie pesant 14 fois moins que celle des États-Unis. Par contre, révélateur de ses priorités, elle possède la deuxième armée du monde et 6 250 ogives nucléaires ! Une des conséquences en est que le PNB par tête de la Russie était affiché à 11 498 $ en 2019 avant la pandémie, c.-à-d. essentiellement au même niveau que celui de Maurice à 11 098 $. Alors que l’Ukraine, étonnamment, était à environ 30 % de ces chiffres, soit 3 663 $...

Le drame de l’économie et des statistiques c’est que, pour utiles et nécessaires qu’elles soient, elles masquent les individus qui les constituent. En Ukraine, nous ne devrions donc pas oublier les 2,4 millions d’Ukrainiens arrachés de leur paisibles foyers et devenus refugiés ailleurs, ni les citoyens bombardés quotidiennement, avec morts à la clé, ni les hôpitaux, les universités, les blocs d’appartements réduits en poussière parce que M. Poutine l’aura voulu.

Il ne faut pas oublier la famille Perebyinis (***) ou les victimes de nos autres folies humaines au Yémen, au Myanmar, en Palestine, en Ethiopie et ailleurs…

(*) https://www.theguardian.com/world/video/2022/ feb/22/kenyas-envoy-to-un-cites-colonial-past-as-he[1]condemns-russian-move-into-ukraine-video (**) https://www.nytimes.com/2022/03/10/opinion/ russia-ukraine-fake-news.html (***) https://www.nytimes.com/2022/03/09/world/ europe/ukraine-family-perebyinis-kyiv.html