Publicité

La séparation des pouvoirs (re)remise en question

28 avril 2022, 10:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

«Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers», nous rappelle Montesquieu, dans l’œuvre majeure De l’Esprit des lois (1748).

Le concept de séparation des pouvoirs vient marquer une rupture avec les conceptions monarchiques de l’exercice de l’autorité légitime. Il s’oppose en particulier à l’absolutisme, où l’ensemble des pouvoirs sont concentrés entre les mains du roi ou, chez nous, du Premier ministre.

Montesquieu distingue trois pouvoirs : le pouvoir de voter la loi (pouvoir législatif qui est sous le contrôle du Premier ministre/Leader of the House et du speaker qu’il nomme), le pouvoir d’exécuter les lois (pouvoir exécutif qui est contrôlé par le Premier ministre) et le pouvoir de rendre la justice (pouvoir judiciaire qui, dans le cas de l’expulsion du Sovaque Peter Uricek, semble avoir été usurpé par le PMO et le PIO, qui tombent sous l’égide du Premier ministre, et ce, malgré une injonction de la Cour suprême, signée par le juge Iqbal Maghooa).

Pourquoi cet excès de zèle de la police contre ce Slovaque alors que la Cour suprême se penche sur son cas ? Pourquoi n’a-t-elle pas pris en considération l’ordre de la cour que brandissait l’avocat Yatin Varma, par ailleurs président de l’ordre des avocats et ancien Attorney General ? Pourquoi cet empressement à faire embarquer cet homme recherché dans son pays pour «trafficking in narcotics and psychotric substances» ? Aurait-il des liens avec les mafieux locaux…

Si la police ou l’Exécutif commence à faire fi du judiciaire, que la séparation des pouvoirs n’est plus respectée, que l’Extradition Act est sciemment violée, alors notre démocratie, déjà malmenée, ne peut qu’aller de mal en pis…

***

L’expulsion manu militari du Slovaque Peter Uricek renvoit à celle de la Sri Lankaise Nilmini Medagama le 15 juillet 1993 alors que SAJ était Premier ministre. Ce qui devait provoquer la démission du juge (feu) Robert Ahnee, qui aurait pu finir sa carrière comme chef juge…

Assemblée nationale, séance du 27 juillet 1993, source : Hansard. Répondant à la Private Notice Question du leader de l’opposition d’alors, Navin Ramgoolam, sir Anerood fait ressortir : «Being myself a legal man, I have the profoundest respect for the Judiciary, and I leave no stone unturned to contribute my share, as Prime Minister and as an ordinary citizen for the preservation of the independence of the Judiciary. However, I consider it an obstacle in the machinery of Government if there is intervention in the process of decision making and decision execution without any good cause and reason.» Il justifiait sa décision de faire expulser Nilmini Medagama, malgré le fait que le juge Robert Ahnee allait incessamment écouter l’affaire. Il en profite pour faire savoir que celui-ci avait déjà essayé, en juin 1993, d’influencer la police alors que Harold Munso était Acting CP dans le cas d’une Angolaise. Dans ce cas, SAJ, «emphasizing my good faith», s’est targué d’avoir laissé la Cour dicter le calendrier des événements.

La suite est non moins intéressante. Ramgoolam a continué à interroger SAJ : «Sir, I am surprised that the Rt hon. Prime Minister, emphasizing that he is a Barrister, should talk of the Judiciary trying to obstruct the machinery of Government. Is the Prime Minister (...) aware that once the Judiciary had been seized of the case, he had to wait?»

SAJ avait alors dit que l’affidavit en question avait été faussé et Razack Peeroo devait lui rappeler que ce n’était pas à lui, mais au judiciaire, «to decide on the merits of the application». Mais la dame et son enfant, (aujourd’hui presque 29 ans, s’il ou elle est toujours en vie), étaient déjà loin de nos rivages)…

Le 3 août 1993, Navin Ramgoolam s’est vu refuser par le speaker d’introduire une motion, selon laquelle «all unwarranted, offensive and disrespectful words uttered by the Prime Minister at the last sitting referring to Mr Justice Robert Ahnee be expunged from the Official Report…» Aujourd’hui encore, le Parlement demeure le territoire du Premier ministre. Mais est-ce que la Cour suprême va se laisser faire cette fois-ci face à l’Exécutif…