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Bourreaux mauriciens
«Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.»
(article V de la Déclaration universelle des droits humains)
Ceux qui croyaient que la torture, sous l’ère de l’inspecteur Raddhoa, était révolue, savaient qu’ils avaient tort ! L’affaire Gaiqui, cet homme nu et enchaîné, aujourd’hui mort, nous a rouvert les yeux sur les pratiques bien de chez nous mais, pris par d’autres tourbillons, nous avons baissé la garde et laissé les bourreaux qui ont continué à sévir en toute impunité, en inspirant d’autres martyriseurs, tapis dans l’ombre des postes de police, devenus des scènes de crime, où le SOCO ne se rend pas. On ne parle pas uniquement des postes de police de Curepipe ou de Terre-Rouge, mais d’une pratique généralisée à travers le pays. Les policiers comme Derochoonee continuent leurs frasques parce que nos institutions sont politisées et les commissaires de police qui passent ne font pas grand-chose, sauf obéir aux ordres d’un Premier ministre qui les soutient dans leurs bévues, comme dans l’affaire Kistnen ou dans l’affaire Uricek (quand le président du Bar Council a été bousculé et renversé par des policiers en civil).
La littérature mondiale sur les droits humains est abondante. Tous les esprits sensés reconnaissent que la torture demeure le paroxysme de la volonté de déshumaniser. L’homme devient un trou par lequel on introduit toutes sortes d’objets pour faire souffrir, humilier, animaliser. Comme les prisonniers de Guantanamo ou du Kremlin, l’humain est mis dans un cadre hors du lien social. Les bourreaux qui acceptent de torturer sont des sadiques, comme on le voit sur les vidéos. Ils se prennent pour des bons et devancent le travail de la justice. Ils pensent qu’ils sont des exemples pour leurs enfants. Ils sont des justiciers autoproclamés. Ils exécutent de façon extrajudiciaire. Ils prennent la loi entre leurs mains. Ce basculement est dangereux ! Ils sont dangereux et ne devraient pas faire partie de la police ou du service pénitentiaire.
Il n’est pas difficile de dégager des logiques du système torturant et des bourreaux, d’en comprendre les enjeux et les besoins de violence gratuite. Mais s’eston demandé ce qu’en adviennent des victimes si et quand elles survivent à pareil traitement ? Sur le plan psychologique, que défait la torture en l’être qui la subit ? Christopher Pierre Louis nous parle de ses enfants, qui, il le sent, ne le regardent plus de la même façon. Entre l’être et la société, une torture filmée et regardée par tous déchire tous les liens, ou presque. C’est pour cela que la police devrait lui présenter des excuses sans tarder afin que la famille Pierre Louis ne soit plus en proie à l’emprise du système torturant. La peur, la honte, l’intranquillité, l’humiliation ne doivent pas être du côté des victimes, surtout si elles sont en prison après avoir été torturées, mais la honte, l’intranquilité, l’humiliation et la peur doivent être du côté des bourreaux et de tous ceux qui les soutiennent.
Après les vidéos qui étaient en possession de la police depuis deux ou trois ans, sans qu’elle ne prenne des sanctions, peut-être parce que le taser est devenu aussi courant que les drogues que l’ADSU substitue, le paradigme doit changer. Pourquoi, hormis dans les cas de Raddhoa, seulement ceux qui sont pauvres, marginalisés et impuissants sont victimes de torture policière ? Si la police agit de la sorte depuis des années, combien de victimes dénombre-t-on en réalité, surtout celles qui n’attirent pas l’attention médiatique parce qu’elles ne peuvent se payer un avocat ? Et combien de citoyens, de Jean-Marie Richard à Narendra Gopee, en passant par Ramlogun et Permes, subissent la violence policière alors que les proches du pouvoir restent protégés par une police violente et dépendante du parti au pouvoir ?
Les organisations internationales comme Human Rights Watch et Amnesty notent que de par le monde entier, le gros des victimes sont torturées «non pas parce qu’elles sont des terroristes mais parce qu’elles sont pauvres, ou différentes, ou osent ne pas être d’accord avec le gouvernement». Sur le plan du droit international, la torture se définit comme tout acte par lequel une douleur ou une souffrance physique ou mentale intense est infligée intentionnellement à une personne pour la punir ou obtenir des informations. Il n’y a pas de débat possible, encore moins de justifications révoltantes, genre il faut d’abord voir si ces vidéos ne sont pas fabriquées ! Un lecteur observe fort justement : «Toute démarche visant à incriminer l’auteur d’une vidéo sur la torture plutôt que les acteurs de la scène serait mal inspirée et contraire à la justice naturelle.»
Répétons-le de manière sans équivoque : toutes les formes de torture sont abjectes et illégales, incluant les décharges électriques, les coups, les viols, les humiliations, les simulacres d’exécution, les brûlures, les privations de sommeil, les simulacres de noyade, les postures contorsionnées imposées pendant de longues heures et l’utilisation de tenailles, de glaçon, de drogues ou de chiens.
Si le gouvernement ne condamne pas ces actes, d’autant que Maurice est signataire d’au moins trois chartes de droits humains, on va rejoindre la liste des pays qui violent les normes internationalement reconnues. Cela dépasse de loin les esprits fêlés de Derochoonee et de son équipe de tortionnaires. Cela touche à notre part d’humanité comme nation, du moins ce qu’il en reste…
En attendant que l’on sorte de ce cauchemar, il nous faut multiplier les appels au calme. La violence des bourreaux ne doit pas engendrer la violence citoyenne !
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