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Le «feel-good factor» du Budget fracassé contre la réalité économique
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Le «feel-good factor» du Budget fracassé contre la réalité économique
Visiblement, le feel-good factor tant attendu du Budget national, que ce soit de la population ou des opérateurs économiques, se fait toujours attendre. Du moins par rapport aux signaux que le ministre des Finances souhaitait faire passer à la population. La réalité d’une crise inflationniste pérenne fracassant les ménages avec la flambée des prix dans la grande distribution semble reprendre ses droits après les annonces budgétaires. Cela alors que certains opérateurs cherchent toujours ce déclic pour faire passer leur société dans une nouvelle phase de croissance.
Pour autant, il ne faut pas s’étonner des réactions populaires aux effets postéconomiques. Trop souvent, les gens, toutes catégories professionnelles et sociales confondues, poussent le bouchon trop loin avec leur liste de courses. Et se retrouvent à la fin de la journée désillusionnés face à l’argumentaire de la marge budgétaire étroite à laquelle les Grands argentiers nous ont habitués chaque année. Plus particulièrement aujourd’hui, avec les effets économiques d’une guerre qui n’a pas dit son dernier mot et qui entraîne dans la foulée des prix vertigineux des produits alimentaires et autres carburants.
Les conversations entendues ici et là tendent à minimiser les cadeaux accordés par Renganaden Padayachy aux économiquement faibles et à la classe moyenne, notamment avec les fameux 1 000 roupies à distribuer aux salariés touchant moins de Rs 50 000 couplées d’un allègement. Le tandem Jugnauth-Padayachy a entendu les cris de désespoir d’une partie de la population qui ne savait pas à quel saint se vouer, contrainte d’utiliser la rue comme ultime recours de pression. Peanuts, soutiennent les retraités et d’autres salariés dans les médias, sachant que ces envolées de prix, découlant en grande partie des conséquences de la guerre russoukrainienne, sont venues grignoter leurs dépenses de consommation.
Certes, la crise sociale et les risques qu’une frange importante de la population sombre dans la pauvreté ont fait réagir le gouvernement. Tant mieux, même si le mode et la manière de cette intervention sont discutables. En revanche, certains spécialistes ne comprennent pas la pertinence, voire l’existence même, d’un feel-good factor pour motiver les opérateurs à prendre des initiatives et à se mettre au travail après la présentation du Budget alors même que le pays est confronté à des urgences économiques et que des risques de stagflation se profilent à l’horizon.
L’économiste Pierre Dinan est catégorique. «L’heure n’est pas au feelgood factor mais plutôt celle de l’adaptation aux nouvelles conditions de vie, du recours à l’inventivité, du travail bien fait, le tout dans un climat libéré de toute attitude d’accaparement personnel.» Il va même plus loin : «Il faut cesser de rêver. La pandémie et la guerre russo-ukrainienne ont déstabilisé l’économie mondiale avec, pour conséquence, des taux d’inflation à deux chiffres à travers la planète, ainsi que des sérieux ralentissements de croissance économique dans les pays riches.» Pour cela, il nous renvoie aux statistiques de revenu par tête d’habitant, qui sont venues rappeler brutalement le rétrécissement du gâteau national : Rs 393 600 en 2019, soit avant l’arrivée du Covid-19 ; Rs 339 400 en 2020 et une légère remontée en 2021 à Rs 364 700, ce qui est d’ailleurs inférieur de plus de 7 % au niveau prépandémique. Est-ce le moment de penser au feel-good factor ? s’interroge Pierre Dinan face à la réalité des chiffres.
Désamorcer la crise sociale
Certes, on comprend dans le privé l’urgence pour l’État de désamorcer la crise sociale à la faveur du dernier exercice budgétaire pour favoriser la paix sociale, condition sine qua non d’un développement harmonieux et inclusif à l’échelle nationale.
Le patron du plus gros conglomérat à Maurice, Arnaud Lagesse, se veut réaliste. Il est conscient que dans le présent Budget, le ministre des Finances a dû privilégier le social pour redonner du pouvoir d’achat à ceux au bas de l’échelle et de la classe moyenne. «Je pense toutefois que certaines réformes doivent être entreprises au plus vite possible pour aider les générations à venir. Le prochain exercice budgétaire devra s’y atteler sérieusement. N’empêche que le mood n’est pas si mauvais même si les facteurs externes ne nous sont pas favorables.»
Encore que sur le plan local, les commerçants subissent toujours l’effet d’une dépréciation accélérée et délibérée de la roupie par la Banque centrale, entraînant une inflation tirée par les coûts des matières premières. Résultat, une pression inflationniste qui continuera en 2022, indépendamment des annonces budgétaires et à laquelle population doit faire face. «La monnaie américaine s’est encore appréciée depuis le début de juin, plus de 3,4 % vis-à-vis de la roupie. Tout laisse croire que ce phénomène va se poursuivre», estime l’analyste financier Imrith Ramtohul. Ce qui fait dire à l’entrepreneur Jacques Li Wan Po et à d’autres industriels que ce feel-good factor n’est malheureusement pas là.
Sans doute, le ministre Padayachy n’aura pas la partie facile pour le service après-vente de son troisième Budget national. En même temps, il peut faire comprendre que Maurice n’est pas coupé du reste du monde car à l’échelle internationale, la gestion de la crise inflationniste doublée d’une crise sociale impose des sacrifices. Quand, au Pakistan, on demande de consommer moins de thé pour économiser des devises ; qu’en Inde, on compresse des effectifs dans l’armée et que, selon le Fonds monétaire international, une quarantaine de pays sont dans la «debt distress», il y a visiblement des questions à poser face à une situation quasi explosive.
D’ailleurs, la dernière édition du très sérieux The Economist souligne que sur la base d’un modèle statistique analysant la corrélation entre la reprise inflationniste liée aux prix alimentaires et énergétiques et les troubles politiques, les données ont montré que ces deux denrées «have been predictors of mass protest, riots and political violence». Ce qui en dit long sur la menace qui pèse sur des États dans le monde. Cela d’autant plus que la Banque mondiale vient ajouter son grain de sel, précisant dans un récent rapport que le monde doit se préparer pendant plusieurs années à une «inflation supérieure à la moyenne et une croissance inférieure à la moyenne». Une nouvelle phase d’instabilité mondiale qui doit forcer les dirigeants politiques à se dépasser pour gérer les contradictions. A-t-on les qualités et les compétences pour y arriver ? Là est toute la question…
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