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La boîte de Pandore
Le réveil a été extrêmement brutal en ce début de juillet, et ce, après la courte période d’apaisement suivant la présentation du Budget 2022-2023 qui, malgré son caractère inflationniste, aura eu le mérite de rendre la confiance aux agents économiques en leur donnant l’illusion qu’on pourrait naviguer sans trop de casse à travers les eaux tumultueuses de la crise. Avec la levée quasi complète des restrictions sanitaires, permettant enfin à l’économie d’opérer à 100 % de sa capacité, le scénario aurait été idéal, ne serait-ce deux événements majeurs qui sont venus plomber le moral des consommateurs et qui nous apprennent un peu plus sur ce qui se trame dans les entrailles du pouvoir. Autant dire que le constat est loin d’être mirifique.
Ces deux événements dont on se ferait bien l’économie sont, bien évidemment, l’envolée des prix des produits de consommation courante provoquée par l’arrêt des subventions et le grand déballage de Sherry Singh, l’ancien CEO de Mauritius Telecom, sur le Kitchen Cabinet et les accusations qu’il a lancées à l’encontre du Premier ministre qui, aussi invraisemblables qu’elles puissent paraître, s’apparenteraient à un crime de haute trahison envers l’État.
Dans le cas de la flambée des prix, ce n’était pas vraiment une surprise. La décision du gouvernement de fermer le robinet et de stopper les subventions à hauteur de Rs 4,8 milliards sur les produits de consommation à rotation rapide a provoqué une véritable explosion des prix, accentuant les craintes que l’inflation ne devienne structurelle et que l’on ne se retrouve dans le même cycle que des pays comme le Sri Lanka, la Turquie ou l’Argentine. Déjà, pour le mois de mai, l’inflation en glissement annuel s’élevait à 10,7 %. Alors que l’inflation globale pour les 12 mois se terminant en mai était calculée à 7,7 %. En adoptant un arsenal de mesures au coût de Rs 15 milliards pour rétablir le pouvoir d’achat par le biais de la loi de finances et en supprimant des subventions de Rs 4,8 milliards tout en essayant de restreindre la hausse des prix à travers un mark-up maximal de 20 à 25 %, le gouvernement a ouvert une boîte de Pandore. Difficile de dire quel sera l’impact global sur les prix.
«Plus que jamais, nos gouvernants doivent jouer cartes sur table et s’atteler à restaurer la confiance. Tout compte fait, ce climat de suspicion pourrait bien déboucher sur une crise de confiance à l’égard de nos institutions»
Entre-temps, d’autres facteurs exogènes continueront à influer sur l’inflation : la guerre en Ukraine et ses effets perturbateurs sur les chaînes d’approvisionnement et le raffermissement du dollar, qui ira crescendo à mesure que la Réserve fédérale (FED) va poursuivre sa politique de resserrement monétaire. Et la roupie dans cette équation ? Si l’on prend comme référent la dernière hausse des taux directeurs par la FED, qui est intervenue le 15 juin dernier, l’on constate qu’elle s’est dépréciée d’environ 2,27 % face au billet vert.
Dans ses dernières observations sur l’économie mauricienne dans le cadre de l’Article IV, le Fonds monétaire international (FMI) anticipe un taux d’inflation de 11,9 % en 2022 et de 5,8 % en 2023. Mais il faut comprendre que ces estimations sont basées sur les consultations que l’équipe dirigée par Cemile Sancak a eues avec les autorités mauriciennes du 27 avril au 10 mai, soit avant la présentation du Budget 2022-2023. Compte tenu de l’environnement inflationniste, l’on pourrait très bien se retrouver avec une inflation supérieure à 15 %, comme l’ont déjà prédit des analystes. Un scénario qu’il faut absolument éviter. La solution c’est, comme on l’a fait ressortir dans ces mêmes colonnes, d’enclencher une stratégie de désinflation en accélérant le processus de normalisation du taux repo. Mais cette solution risque bien de casser les ressorts de la croissance.
Pour revenir aux allégations de Sherry Singh, elles portent un sacré coup à l’image du Premier ministre. A-t-il vraiment donné des directives pour qu’une tierce partie qui, on comprend, serait une entité étrangère, puisse installer un sniffer pour accéder aux données entrant et sortant du territoire mauricien ? Cette allégation est d’une extrême gravité car elle implique que le chef du gouvernement a donné son assentiment à des puissances étrangères pour se livrer à de l’espionnage à partir de notre territoire. La première riposte de Pravind Jugnauth invitant Sherry Singh à aller consigner une déposition à la police n’est pas celle que l’on attendait. D’autant plus que cette accusation n’est pas formulée par n’importe qui, mais par un intime, par quelqu’un qui a été son proche conseiller. À l’Assemblée nationale mardi, il a rectifié le tir en affirmant de manière catégorique et sans équivoque que «ni moi-même ni aucun fonctionnaire de mon bureau, agissant au nom du gouvernement, n’a jamais eu de discussion ou d’accord avec une partie étrangère ou un opérateur de télécommunications en rapport avec l’installation ou l’utilisation d’équipements permettant de renifler, d’intercepter, de surveiller ou d’enregistrer le trafic Internet à destination ou en provenance de Maurice ou des pays de la région». Au passage, le Premier ministre a rassuré la population en soutenant avec force que Maurice est un État démocratique et souverain et que le gouvernement n’agirait jamais contre l’intérêt des citoyens de ce pays ni ferait quoi que ce soit qui remettrait en question notre sécurité nationale et notre souveraineté.
Par ailleurs, la confirmation de Sherry Singh qu’il y a un Cabinet bis et que des décisions importantes par rapport à l’avenir du pays seraient prises dans les officines avant d’être débattues au sein des instances exécutives fait se poser des questions sur la gouvernance au sein de ce gouvernement. Là encore, il est essentiel que le Premier ministre vienne clarifier les choses car il est question de la légitimité de son gouvernement.
L’autre allusion de Sherry Singh qui mérite que l’on s'y attarde, c’est celle que le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, agirait comme trésorier au sein du Kitchen Cabinet. Est-ce que par là, il insinue qu’outre ses fonctions d’État de Grand argentier, Renganaden Padayachy est également celui qui, officieusement, se charge d’amasser le trésor de guerre du MSM en vue des prochaines législatives ? Au nom de la transparence et dans le but de rassurer la population, mais aussi les décideurs, le ministre des Finances ne peut se permettre de garder le silence ou de botter en touche les interrogations. Plus que jamais, nos gouvernants doivent jouer cartes sur table et s’atteler à restaurer la confiance. Tout compte fait, ce climat de suspicion pourrait bien déboucher sur une crise de confiance à l’égard de nos institutions.
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