Publicité
Premier ministre, pouvoir absolu ?
Par
Partager cet article
Premier ministre, pouvoir absolu ?
Décidément ! Il ne fait pas bon être Premier ministre ces jours-ci…
Celui de la Grande-Bretagne a dû démissionner après une forte vague – presque un tsunami – de protestations cinglantes, venue de ses propres rangs, de collègues «fidèles», nommés par lui-même, s’insurgeant contre sa légèreté coupable, ses mensonges et son comportement «moins que premier ministériel». Ce qui démontrait qu’il y a finalement des limites à tout, que la dignité de ministres et de parlementaires qui n’en peuvent plus d’avaler l’indigeste, existe bien et que le pouvoir d’aucun PM n’est absolu !
Au Sri Lanka, où la population en a vu de toutes les couleurs aux mains de la dynastie hégémoniste Rajapaksa, au point d’hériter d’un pays en faillite et en défaut de paiement, souffrant de pénuries diverses allant de l’essence aux médicaments ; le Premier ministre (PM), Mahinda Rajapaksa, fut révoqué à la mi-mai et remplacé par Ranil Wickremesinghe qui devenait ainsi PM pour la 6e fois de sa vie ! Comme cinq Premiers ministres avant lui, il vient d’être élu à la présidence de son pays en remplacement de Gotabaya Rajapaksa, quant à lui, forcé à fuir le pays et à démissionner de son poste. Le pouvoir d’un PM, malgré un parcours guerrier gagnant, n’est apparemment pas absolu.
En Italie, M. Mario Draghi, l’homme qui immortalisait la phrase «Whatever it takes», en 2012, quand il défendait l’avenir de l’euro à Bruxelles et qui fut appelé, il y a 17 mois, en sauveur de l’Italie, pour stabiliser la situation de son pays face à la confusion qui le précédait, a lui aussi démissionné. Les plus affamés de pouvoir parmi les partis ayant constitué la coalition qui le soutenait auront décidé qu’ils avaient assez attendu en sourdine et qu’ils voulaient plus alors qu’une large majorité d’Italiens approuvaient pourtant le travail de Draghi. Des élections auront lieu en septembre pour tenter de former un 68e gouvernement (!) depuis la Seconde Guerre mondiale. Comme quoi, en démocratie, même le meilleur des PM n’est pas à l’abri de l’appétit des autres et n’a donc pas de pouvoir absolu.
Ici, notre Premier ministre débutait la semaine sur les chapeaux de roue en laissant fuiter un «rapport» du Chief Technical Officer (CTO) de Mauritius Telecom (MT), daté de deux jours seulement après la démission explosive du Chief Executive Officer, M. Sherry Singh (SS). Cette lettre, plutôt ampoulée et mal écrite, se voulait être un «rapport» à l’effet que le CTO n’avait rien vu de suspect lors de la visite d’une équipe technique de l’Inde, le 15 avril dernier, à Baie-Jacotet, où se trouve la landing station de notre câble SAFE. Mieux, cette lettre disait que le CTO n’avait pas entendu parler d’un projet de sniffing à venir, alors qu’il était apparemment dans le bureau de Sherry Singh, le 14 avril, quand M. Moustache aurait, selon SS, expliqué que le survey était pour aider à dimensionner le projet sniffing qui allait suivre.
Ce courrier, daté bizarrement du 2 juillet plutôt que d’avril, paraissait torpiller la thèse de Sherry Singh jusqu’à… la démission du CTO lui-même, mardi, qui évoquait alors le besoin de «stand by my values and do the right thing for me, for my conscience and for my country», soulevant moult thèses de conspiration pour nous détourner de la vérité.
Ce n’était pas terminé puisque, jeudi, le président et quatre membres du conseil d’administration de MT démissionnaient ou étaient éconduits, on n’est pas très sûrs, ni ne sait-on trop pourquoi à ce stade ; ce qui en rajoutait à une situation déjà confuse et plutôt problématique. Depuis, le PM nous assure que les directeurs démissionnaires ne sont pas à blâmer, mais qu’il fallait renouveler le board pour un nouveau départ.
Pour couronner le tout, vendredi soir, devant une audience de 100 000 citoyens médusés, un contrerapport du CTO, daté du 12 juillet a été produit, écrit au CEO par intérim, qui vient démonter les affirmations du PM tant au Parlement qu’à la nation. Il y a une intervention ! Il y a eu du data capture par une tierce partie étrangère sur le câble SAFE ! Dans l’illégalité la plus complète selon l’article 46 de l’Information and Communication Technologies (ICT) Act !
Si notre PM a évoqué la sécurité nationale pour demander la venue d’une équipe technique, fournie par son ami, le Premier ministre Modi, personne ou presque ne le croit, rien ne menaçant particulièrement le pays, si ce n’est l’explosion des prix, le népotisme, les équilibres financiers rompus et la perspective désastreuse d’un système de pension universelle qui n’est financé par des contributions qu’à hauteur de 18 % seulement, alors que la population va beaucoup vieillir au cours des décennies qui arrivent…
Les questions pleuvent.
N’y avait-il pas de techniciens mauriciens capables de relever, avec le consortium propriétaire de SAFE et dans le cadre de la loi, le PM de ses inquiétudes pour notre sécurité ? À quoi sert la souveraineté du pays, si 54 ans après l’Indépendance, on a toujours recours à un citoyen indien comme National Security Advisor ? Est-ce que poser cette question équivaut inévitablement à du bashing ? Qui déclenche l’idée de ce survey, l’Inde ou le Prime Minister’s Office (PMO) ? Pourquoi le consortium SAFE ne réagit pas et pourquoi il n’effectue pas, au moins, un survey propre et indépendant, pour rassurer ses consommateurs ? Le PM ne doit-il pas, au nom de la transparence, nous expliquer tout, y compris, ce qui constitue la menace à notre sécurité ?
Il y a cependant déjà une certitude ! Notre PM a été très mal inspiré, voire irresponsable, de forcer, en direct («To pa éna choix !»), la main à SS pour un survey sur SAFE, par des tiers étrangers, qui aura duré six heures ! Dans le dos du consortium SAFE, dans le dos de son Conseil des ministres, dans le dos du conseil d’administration de MT, en contravention de la loi ICTA.
Une telle incartade paraît à la fois extrêmement grave et dommageable ! Sur cette toile de fond pourrie, le PM n’ayant aucunement le droit d’ordonner, ex cathedra, des surveys là où il veut, quand il le souhaite, on aurait pu espérer une pause, un peu de contrition ou de pommade, une bonne dose de calmant de la part du gouvernement ?
Que nenni !
Dans une tactique bien connue et longtemps pratiquée, on met en place des contre-feux, aussi émotionnels que possible, pour tenter d’attirer les regards ailleurs…
Et c’est ainsi que se répand, furieusement, cette semaine, le caca du diable, puis la énième version de l’India bashing et finalement l’Immigration Bill, gratifié d’un certificat d’urgence, siouplait !
À mon humble avis, la savoureuse expression : «Manz bondié, kaka diab» n’est d’aucune manière une attaque contre quelque religion, mais bien une attaque, féroce bien sûr, contre tous les hypocrites se donnant une image de dévot et de pieux, alors que dans les faits, ils pratiquent le contraire des bonnes valeurs prônées en religion. On peut quand même s’entendre là-dessus ? Et pour que les choses soient claires, si l’Inde nous a aidés à construire de beaux hôpitaux, un métro, une New Court House, ce dont nous lui sommes redevables ; elle est, comme tous les pays je le crains (*), avant tout à la recherche, en passant ou en contrepartie, de ce qui favorise ses intérêts. Pensez Agalega ou Double Taxation Agreements. On se trompe ? Quant à l’Immigration Bill, si c’était une façon de confirmer l’appétit grandissant de notre PM pour un pouvoir personnel inattaquable et presque papal, c’est réussi !
Consolider les lois, c’est bien. Protéger le pays contre les mariages blancs, c’est raisonnable. Mais profiter pour modifier la Citizenship Act et donner au PM le pouvoir absolu «in the interest of defence, public safety or public order» – que l’on n’explicitera jamais d’ailleurs – d’enlever la citoyenneté à quelqu’un l’ayant acquis par naturalisation ou mariage, sans devoir aucunement s’expliquer et sans droit d’appel, ouvre les voies de l’abusif et de l’arbitraire qui ne devraient pas exister «in a (normal) sovereign democratic state».
Le pouvoir d’aucun PM ne peut et ne doit être absolu !
Dans le cas SAFE, il s’est octroyé ce droit unilatéralement, semble-t-il. Cet homme est soit dangeureux, soit irresponsable. Peut-être les deux à la fois. S’il lui reste un peu de conscience, il démissionnera pour sauver la dignité qui reste à ce pays. Sinon, le sursaut ne peut venir que de ses troupes, si l’on veut éviter le tsunami de la rue.
(*) “We have no eternal allies, and we have no perpetual enemies. Our interests are eternal and perpetual, and those interests it is our duty to follow”.
Lord Palmerston, Speech, House of Commons, March 1, 1848
Publicité
Les plus récents