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Quand Moody’s peint rouge, Maurice voit vert
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Quand Moody’s peint rouge, Maurice voit vert
Même si nous ne pouvons prétendre maîtriser parfaitement l’anglais et le français, un grand nombre de Mauriciens arrivent à lire les deux langues. Suffisamment pour savoir qu’il y a un sérieux décalage entre le communiqué exact de Moody’s, émis de New York, et ceux, biaisés, du ministère des Finances et de la Banque centrale, rédigés par des esprits machiavéliques à Maurice.
Le 28 juillet 2022, sur le site de Moody’s : «Moody’s Investors Service (“Moody’s”) has today downgraded the Government of Mauritius’s long-term foreign and local currency issuer ratings to Baa3 from Baa2, and changed the outlook to stable from negative.»
«Le communiqué-torchon de notre banque centrale, au lieu de reconnaître l’urgence des réformes économiques qu’il nous faut mener, est d’une complaisance inadmissible...»
«The downgrade to Baa3 is driven by Moody’s assessment that the quality and effectiveness of institutions and policy making has weakened, which in turn hampers Mauritius’s economic resiliency and capacity to absorb future economic shocks. While the institutional framework remains strong and policymaking has historically supported high and stable economic growth, reversing the deterioration in economic and fiscal strength as a result of the pandemic is complicated by the reliance on unconventional and one-off measures which creates some uncertainty around future fiscal performance and ultimately weighs on Moody’s assessment of institutions and governance strength», ajoute Moody’s.
C’est assez direct, n’est-ce pas ? Mais nos lumières aux Finances et à la Banque de Maurice, qui sont payées des sommes astronomiques par nul autre que nous, ont une bien autre lecture. Et voilà ce qu’ils nous pondent.
En ce même 28 juillet 2022, peu après la publication du «downgrade» de Maurice par Moody’s, le ministère des Finances de Renganaden Padayachy ose, sans pudeur aucune, nous sortir ceci : «L’agence internationale de notation Moody’s maintient Maurice dans la catégorie des pays à investissements de qualité. Maurice est et reste donc le seul “International Financial Centre - IFC” (NdlR : c’est le communiqué qui utilise des guillemets!) d’Afrique reconnu comme Investment grade».
Le deuxième paragraphe des Finances est en soi un cours de manipulation de l’opinion publique. Alors que Moody’s utilise le terme «downgraded», le ministère des Finances de Maurice se permet de vendre une autre version de la vérité, cuisinée dans une sauce démagogique assez concentrée: «Reposant sur la base des données de 2021, soit au cœur de la pandémie, la notation attribuée par Moody’s à Maurice passe de Baa2 (Negative) à Baa3 (Stable), gardant Maurice dans le Top Tiers des juridictions à travers le monde.» Il faut vraiment prendre les enfants du bon Dieu pour des canards boiteux pour réécrire la vérité implacable de Moody’s !
On savait tous que la Banque de Maurice de Harvesh Seegolam fait toutes sortes de contorsions pour soutenir Renganaden Padayachy et ses dangereuses concoctions, mais cette fois-ci, elle se surpasse. Lisez ceci, en date du même 28 juillet 2022, la Public Notice de la Banque de Maurice, sous le titre (on croirait entendre les titres de la MBC !) : «Mauritius preserves its Investment Grade status further to the latest Moody’s rating». Le communiqué-torchon de notre Banque centrale, au lieu de reconnaître l’urgence des réformes économiques qu’il nous faut mener, est d’une complaisance inadmissible : «The Bank of Mauritius (Bank) has taken cognizance of the decision by Moody’s Investor’s Service (Moody’s) to review the sovereign rating of Mauritius from Baa2 Negative to Baa3 Stable (...) Mauritius retains its Investment Grade status. It remains the only International Financial Centre in Africa with an Investment Grade rating.» Toute ressemblance, même si l’une est dans la langue de Molière et l’autre dans celle de l’auteur de Lady Macbeth, entre le communiqué du ministère des Finances et celui de la Banque centrale, est purement fortuite, bien évidemment !
Dans un pays comme Maurice, qui prend six mois pour entreprendre un «survey» alors que plane une menace sur le plan de la sécurité nationale, on a perdu, à cause d’un populisme malvenu, le sens des mots, de la logique, et des urgences. Après avoir ignoré le FMI qui demande à la Banque centrale de se désengager de la Mauritius Investment Corporation, maintenant le ministère des Finances se targue des «sizeable international reserves» ; alors, pourquoi le bilan financier de la Banque centrale n’est-il pas publié depuis ces quatre derniers mois, si on n’a rien à cacher ?
Pour rétablir les faits, voici d’autres regards critiques de citoyens, qui prennent les communiqués officiels à contrepied. Un ancien gouverneur de la BoM nous confie : «The only point that I can highlight is that the downgrade is based on an understanding that the Forex reserves are depleting. Rupee is bound to depreciate. Business confidence will further aggravate. Forget investment. Next thing to watch is to see what they will say about our two big banks. Forex depletion will of course affect the banks. If ever the two banks are downgraded, we should expect the worst. On what ground the MoF and the BoM are celebrating is incomprehensible !»
Un économiste qui a travaillé au sein de la Banque centrale et qui a choisi de vivre ailleurs : «In a nutshell, Mauritius is not ready at all to face the current global recession. This global recession will be deeper and last a bit longer than people think because globally as well central banks are being forced to tighten interest rates because of persistently high inflation. With our little fiscal space and no central bank balance sheets and a high dependence on money printing (...) There are no easy solutions anymore. All solutions are going to be painful and given the level of incompetence in the country, I think Mauritius is going to go through hell and it’s going to get worse. Can’t you see it’s already pretty bad now ?»
Un cadre aux Finances, qui désavoue en privé le chemin qu’emprunte Padayachy : «The government is not increasing taxes directly but it is doing so indirectly via the inflation card. When I hear the finance minister say that the nominal GDP number is not going to be at 500 and something billion rupees and that’s amazing – when all economists learn from secondary school that you need to look at real GDP and not nominal GDP. Then basically you really understand that the focus of government is about growing overall revenues and depending a lot of an inflation which essentially destroys your middle class and the poor and increases wealth and inequality because people who have a lot of assets do get richer because inflation leads to asset inflation. I think that the government has calculated politically that it will use the inflation card that will provide tax buoyancy and they will also bet on the fact that most people in Mauritius are pretty idiotic and if you give them a thousand rupees over the thousand rupees, they might not realize that it is probably equivalent to 500 rupees some three years ago. So we are already paying taxes ! We are already paying higher taxes ; it’s just being done through inflation because politically the government can always blame it on somewhere else, like Ukraine, and it’s easier than to officially put a tax on you.»
Terminons sur un des jolis passages d’un journaliste-poète français, Daniel Mermet : Là-bas si j’y suis.
«Quand il dit bleu, je vois rouge.
Un autre voit jaune, ma sœur voit vert, mon voisin voit violet, mon chien voit tout en noir et ma mère tout en rose.
Certains voient autre chose que des couleurs : des chansons, des saveurs, des gares, des lendemains, des moineaux, des citernes.
Est-ce à dire que personne ne voit bleu quand il dit bleu ?
Cela signifie que chacun voit son bleu à sa porte. Que le regard est plus important que la chose regardée, l’écoute plus importante que la chose écoutée, la lecture plus importante que le livre, le souffle plus important que le poumon. Que personne n’a jamais pu imposer son bleu à personne. Que les parleurs de bleu le veuillent ou non. Est-ce que toute parole est ainsi condamnée ou malentendue ?
Toute parole s’expose aux rires des dieux et à la liberté des hommes. Toute parole n’est qu’échange, commerce et grain à moudre. Mais toute parole est existence...»
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