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PTr-MMM-PMSD: un accord qui change la donne
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PTr-MMM-PMSD: un accord qui change la donne
S’il ne touche pour l’heure que les élections municipales, cet accord entre PTr, MMM et PMSD devrait être étendu aux élections générales. D’autant que le MSM, qui organise en ce moment des congrès en région rurale, pourrait éviter l’obstacle des villes et aller vers des législatives prématurées. Toutefois, on est loin d’une grande unification de l’ensemble de l’opposition parlementaire et extraparlementaire. Les prochaines élections seront plus multipartites que jamais et engageront des visions très différentes de l’avenir.
L’accord de principe intervenu mardi «pour les élections municipales» entre le Parti travailliste (PTr), le Mouvement militant mauricien (MMM) et le Parti mauricien social-démocrate (PMSD (avec le Rassemblement Mauricien – RM – de Nando Bodha en réserve) est une importante évolution qui jette un peu plus de lumière et de certitude dans un contexte politique jusqu’ici flou et versatile. Il apportera davantage de cohésion à l’action de l’opposition sur le terrain, accentuera la pression sur le régime et offrira au pays une alternative politique plus concrète et crédible.
On peut, pourtant, regretter que cet accord ne touche pour l’heure que les élections municipales. Cette inutile limitation en réduit l’impact souhaité, alors qu’il est maintenant un secret de polichinelle – et Arvin Boolell l’a confirmé mardi à Jean-Luc Emile sur Radio Plus – que cet accord devrait demain logiquement et inévitablement être étendu aux élections générales, que Navin Ramgoolam en sera tout naturellement le leader, donc le challenger direct de Pravind Jugnauth et qu’Arvin Boolell lui succéderait sans aucun doute au cas où l’ex-Premier ministre en serait empêché. Les non-dits qui entourent cet accord ne trompent personne.
Ces dispositions sont d’autant plus utiles que le chef du gouvernement (possiblement requinqué par la série de congrès que lance le Mouvement socialiste militant – MSM – en régions rurales et appréhensif d’une raclée électorale en ville) pourrait bien éviter l’obstacle des municipales, surprendre l’opposition et aller directement à des élections générales prématurées.
Pourquoi, en effet, mobiliser autant les régions rurales pour des élections… urbaines ?
Sans doute devra-t-on voir dans cette timidité à formaliser un plus vaste «deal» un nouvel exemple de la procrastination habituelle de Navin Ramgoolam, méfiant de tout et de tous, avançant toujours à pas de loup. Ou encore la main de Paul Bérenger, champion national du «What if..?» politique, toujours soucieux de se ménager d’éventuelles portes de sortie. Les deux leaders, refroidis par mille déceptions et trahisons passées, ne franchissent plus aisément le Rubicon.
Il y aura bien des Mauriciens pour se demander, alors, pourquoi renvoyer à demain ce qui découlera immanquablement des décisions d’aujourd’hui ? Les trois leaders ne seraient-ils pas tout à fait sûrs de leur coup ? Mais alors «if you only think that you may lose, you’ve already lost!»
***
Sur un autre registre, certains voudront voir dans l’accord intervenu mardi l’ultime étape d’une grande unification de l’ensemble de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire.
Ce scénario, évoqué avec grandiloquence par certains comme «un nécessaire devoir patriotique» pour faire partir le régime, n’est qu’une chimère, une illusion. Pour séduisante qu’elle puisse paraître sur le papier, cette proposition a très peu de chances d’aboutir. On le constate déjà, jour après jour. Plus vite on redescendra sur terre par rapport à ce fantasme, mieux le débat public se portera et gagnera en réalisme.
Il existe aujourd’hui dans l’opposition au moins cinq sensibilités différentes. Celles-ci ne sont pas aisément réconciliables :
1. Les partis parlementaires (PTr, MMM et PMSD), qui dominent le jeu politique depuis 50 ans, sont tous trois plutôt d’inspiration socialedémocrate, réformistes et non révolutionnaires, attachés à l’ordre constitutionnel et aux institutions. Ils ne conçoivent un changement de gouvernement qu’à travers le processus électoral et n’entendent aucunement se laisser dicter leur conduite par les nouveaux partis, dont l’objectif déclaré est un changement radical de «système» qui n’exclut pas l’insurrection populaire. Avec à leur tête deux anciens Premier ministres et un ancien Premier ministre adjoint, le «système», c’est aussi Navin Ramgoolam, Paul Bérenger et Xavier-Luc Duval. Ces derniers, forts de leur longue expérience, mesurent parfaitement le risque qu’au bout des agitations de rue proposées sur leur gauche, existe une menace réelle de dérapages et d’émeutes par des mouvements extra-parlementaires non-encadrés – remous dont le gouvernement, immanquablement, leur ferait porter le chapeau dans l’opinion publique. En cas de dérapages, le pays serait plongé dans un dangereux cycle de répression, de tensions communales et peut-être même d’un recours à l’État d’urgence, faisant reculer encore plus la fragile démocratie mauricienne. Ainsi Paul Bérenger donne-t-il déjà publiquement le ton de ce que sera la ligne PTr/MMM/PMSD : le changement dans la continuité constitutionnelle ! Ceci met la nouvelle alliance PTr/MMM/PMSD en collision directe avec les nouveaux partis émergents.
2. Un deuxième courant, issu de l’opposition parlementaire et incarné par Roshi Bhadain et le Reform Party, est susceptible de jouer aux troublefêtes. Navin Ramgoolam en particulier déteste Bhadain qui lui a fait subir, en 2015, persécutions et humiliations. Il estime ne pas avoir vraiment besoin de lui pour ébranler le régime. Avec le leader du PTr revenant au premier plan, le sort de Bhadain est scellé. Ce dernier aura pour options soit de se joindre à Nando Bodha, si celui-ci n’accepte pas la primauté de Navin Ramgoolam, ou alors de créer un axe avec Rama Valayden, ses amis Avengers et Linion Pep Mauricien (LPM). Un tel regroupement attaquera autant le gouvernement que l’opposition parlementaire, jugée inefficace et manquant de punch.
3. Le LPM de Rama Valayden, Jean Claude Barbier, José Moirt, Dev Sunnasy constitue, lui, un courant populiste citoyen marqué par un activisme incessant qui tente actuellement de se réinventer après le départ de Bruneau Laurette. LPM a très peu en commun avec les partis traditionnels et veut proposer une vision nouvelle qui passe par des changements constitutionnels en profondeur et une nouvelle République. Mercredi, Rama Valayden traitait Ramgoolam, Bérenger et Duval de «has been» desquels il ne faut rien attendre pour changer le pays. Le terme est fort. Et ces trois chefs n’ont pas le pardon facile !
4. Sherry Singh et Bruneau Laurette, eux, s’éloignent également des autres partis dans leur quête d’un «tsunami» annoncé. Laurette est aujourd’hui jugé de moins en moins politiquement fréquentable par le PTr/MMM/PMSD, qui redoute les formes que prend son agitation permanente et le fait que l’activiste social ait un appendice révolutionnaire avec le mouvement «Sel solution: Révolution». Laurette est perçu par les partis traditionnels comme une bombe politique ambulante en régions rurales. Pour sa part, Sherry Singh, à leurs yeux, a déjà «used his purpose». Autant Ramgoolam se méfie de Bhadain, autant Bérenger voit Singh comme un «turncoat» que le leader MMM instinctivement méprise.
5. À l’extrême gauche enfin, Rezistans ek Alternativ, Lalit, le mouvement de Jack Bizlall constituent un courant radical pur et dur, admiré pour sa rigueur, qui ne fait aucune concession sur rien et qui prend des positions idéologiques et morales rigides et inflexibles. Il n’y a aucune chance que ces mouvements reconnaissent l’autorité de Ramgoolam, Bérenger et Duval ou coopèrent avec ceux-ci pour quoi que ce soit.
Il est donc plus qu’évident que les innombrables divergences (actuelles ou potentielles) entre la nouvelle alliance et les extra-parlementaires excèdent largement quelques rares convergences. Cela signifie en clair que les prochaines élections seront plus multipartites que jamais et engageront des visions très différentes de l’avenir.
Avec pourtant, cette fois, une nuance : en s’attirant aujourd’hui le soutien du MMM et du PMSD, le PTr se donne la possibilité de rassembler, au-delà de ses 30 % traditionnels de soutien, les voix qui lui manquent pour sceller une victoire, avec notamment la possibilité de voir arriver quelques renforts chez les indécis. Le MSM, lui, se met à dos tellement de monde depuis 2019 qu’il risque, en effet, de se retrouver face à une véritable armada hostile, sans espoir réel de brasser au-delà de son «hard core» actuel.
Si l’alliance naissante tient la route dans sa configuration actuelle, aux prochaines élections générales 37 % des voix ne suffiront pas au MSM pour gagner. Dans une élection difficile, pouvoir attirer des renforts au-delà de sa base traditionnelle pourrait bien faire toute la différence !
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