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Ils ont été 376 556 touristes à nous avoir visité au cours du premier semestre de cette année. Si l’on compare ce chiffre aux premiers semestres correspondants en 2020 et en 2021, il n’y a évidemment pas photo ! C’est une vraie reprise ! Mais si l’on a l’effronterie de les mettre en contraste avec le dernier ‘premier semestre’ normal que nous avons connu, soit celui de 2019, nous réaliserons alors l’envergure du problème qui nous confronte.
En effet, lors du premier semestre de 2019, nous avons accueilli 650 082 touristes ! Vu sous cet angle, ce premier semestre de 2022 n’a concrétisé que 58 % de notre score de 2019 (J’ai écrit, le 13 juillet dernier, que nous étions à environ 75 % de notre performance pré-pandémique, mais je n’ai pas retrouvé ma source d’alors… J’ai dû avoir tort). C’est une performance que nous aurions pu avoir amélioré, notamment avec plus de sièges disponibles dans les avions, mais comme souvent dans ce pays, on réagit tardivement ou mal. On parle, depuis, de nouveaux droits d’atterrissage pour Turkish Airlines, Emirates et des compagnies indiennes, et cela va aider, mais, par exemple, le troisième vol d’Emirates, concédé après de vives discussions, ne commencera qu’en octobre et prendra fin en janvier 2023. Air Mauritius voudrait, de son côté, louer deux Airbus pour être à table, mais on ne sait pas encore à quel prix et si ce sera rentable aux prix des sièges actuels. Je ne suis pas au courant de tous les faits, mais si les nouvelles capacités de siège s’alignent pour la ‘grande saison’ seulement, il me paraît vraiment difficile d’atteindre les objectifs fixés, du moins pour le nombre de touristes.
Rappelez-vous : dans le discours du Budget 2021-2022, le ministre des Finances prédisait, au paragraphe 124, que nous nous préparions à recevoir 650 000 touristes «over the next twelve months». Il est vrai que nous avons dû faire face à l’hystérie générée par Omicron et à la liste ‘rouge écarlate’ imposée par la grand-mère de France (on dit bien Mother India après tout…) au plus mauvais moment de la saison, mais le fait est que nous n’avons réceptionné que 553 111 touristes sur cette période, soit 85 % de l’objectif.
Si nous avons réceptionné 377 000 touristes lors du premier semestre de 2022, nous allons vraisemblablement être plutôt loin de l’objectif d’un million de touristes pour la présente année calendaire… En effet, le deuxième semestre s’affiche, dans une année normale, dans la proportion 75:65 par rapport au premier semestre. Dans une année normale, on peut donc s’attendre à environ 435 000 touristes entre juillet et décembre et donc 812 000 touristes pour l’année calendaire 2022. Comme nous sommes dans une année de ‘reprise’ plutôt que de stabilité, on peut probablement doper un peu les chiffres du semestre actuel, mais peut-on vraiment espérer 623 000 touristes pour les 6 mois allant jusqu’en décembre, c’est-à-dire… 43 % de plus que la tendance établie par le premier trimestre ?
Ce serait miraculeux !
Je pense qu’on aurait vraiment bien fait si on atteignait finalement 900 000 touristes… Car ce n’est pas seulement une question de sièges d’avion, les voyages coûtant entre 40 et 60 % plus cher qu’en 2019 et les hôtels de luxe vers lesquels s’orientent ceux qui achètent ces billets chers… ayant un nombre limité de lits ! En effet, celui qui paie cher son billet d’avion ne se contentera pas, logiquement, d’un trois-étoiles ou de chambres d’hôte…
«Dans une situation où nous sommes lourdement endettés nationalement, n’avons-nous pas le devoir de dépenser l’argent public le plus judicieusement possible ?»
Et les espoirs touristiques sont devenus encore plus compliqués récemment ! Car lors du discours du Budget de cette année-ci, on a établi un nouvel objectif de 1,4 milliard de touristes pour 2022-2023 ! Comme le soulignait Jocelyn Kwok, le CEO de l’ARHIM, la semaine dernière dans l’express, si l’on retient le ratio historique de 75:65 entre le 2e et le 1er trimestres, cet objectif demanderait, en fait, que l’on accueille 750 000 touristes entre le 1er juillet et le 31 décembre de cette année, ce qui est, de prime abord, irréalisable ! Sur une courbe ascendante et pour atteindre l’objectif de 2022, puis de 2022-2023, il faudrait donc espérer 625 000 touristes pour les 6 mois à décembre et 775 000 lors du PREMIER semestre de 2023, ce qui serait le DOUBLE du 1er semestre de 2022.
Ça ne paraît pas crédible !
Ce qui pourrait avoir des conséquences sur les finances du pays. Surtout au niveau de la balance des paiements et peut-être un peu au niveau des anticipations de recettes de TVA incluses dans le dernier Budget. Encore que les derniers chiffres disponibles qui suggèrent que la somme moyenne dépensée par touriste est, à Rs 67 105, en progression de 47 % par rapport à 2019(*), indiquant même un progrès en dollars, donnent quelques espoirs… En effet, on pourrait ne pas atteindre le nombre de touristes attendus, mais toucher et même dépasser les recettes totales encaissées !
Si l’excellente initiative du ministre du Tourisme d’accueillir les Réunionnais sans passeport et sans visa est un succès, les mois à venir seront même radieux et les petits établissements hôteliers et autres reprendront aussi des couleurs…
Cependant, ce n’est probablement pas assez pour pouvoir justifier que nous empruntions encore 300 millions de dollars de l’Inde, à des conditions qui ne sont pas encore précisées, mais qui seront dépensées dans une extension du métro vers… Côte d’Or ! Le soutien de l’Inde au pays est évident, même si pas gratuit, mais doit quand même être ici mis en perspective.
Si la ligne de métro de Port-Louis à Curepipe ne sera pas rentable (et jusqu’à maintenant il n’y a aucune indication sérieuse qu’elle le sera), qui peut croire qu’une extension de Réduit à Côte d’Or va en améliorer la rentabilité ? Dans une situation où nous sommes lourdement endettés nationalement, n’avons-nous pas le devoir de dépenser l’argent public le plus judicieusement possible ? Le Premier ministre vante souvent sa ‘vision’ à long terme, et il est possible, en effet, de postuler qu’à long terme – même à très, très long terme – le service du métro sera un investissement positif pour le pays. Mais, pour le moment, il est permis d’en douter !
Si le premier tronçon du métro a coûté Rs 800 millions par kilomètre, alors qu’il y avait les coûts initiaux de ‘mobilisation du chantier’ de Larsen & Toubro, comment expliquer que le 3e tronçon, de Réduit à Côte d’Or coûte Rs 1,3 milliard par kilomètre, alors qu’il n’y a pas de difficultés techniques particulières à anticiper, pas de surélévation, ni de complications avec les terrains mobilisés en pleine nature, plutôt qu’en milieu urbain ? Cela fait quand même un surcoût apparent de 62,5 % et même s’il n’y a pas de Freedom of Information Act, le gouvernement n’a-t-il pas le devoir d’expliquer ce contraste frappant, d’autant plus que ces surcoûts vont s’appliquer à une ligne vers Côte d’Or dont la population permanente est de… ZÉRO, alors que la population qui y transite est plutôt épisodique ?
Ce qui n’est pas sans rappeler le «pork barrel politics» des budgets américains, où l’un des exemples parmi les plus criards fut une autoroute et un pont pour relier les 9 000 habitants de la ville de Ketchikan de l’Alaska au petit aéroport de l’île de Gravina où il y en avait 50… Le projet qui devait coûter 223 millions de dollars selon les annonces budgétaires en 2005 fut, heureusement, annulé par la suite, à cause de son incohérence financière…
Ce pont qui fut baptisé «Le pont vers nulle part» serait-il l’équivalent de notre «Métro vers Côte d’Or» que nous ne serions pas étonnés ! S’il y a une justification économique à cette énorme dépense que l’on fait en notre nom – qu’il faudra bien rembourser, et en devises lourdes siouplait – il faudra bien nous la mettre sous le nez, messieurs ! Et ainsi, nous traiter en citoyens adultes, plutôt qu’en crétins, très fortement débiles en plus. C’est le minimum syndical, en démocratie, messieurs !
(*) Monthly Statistical Bulletin, BoM, July 2022, Table 58
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