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Poutine va-t-il tout risquer ?
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Poutine va-t-il tout risquer ?
Quand on y pense bien, la réaction de Vladimir Poutine cette semaine était prévisible, même si particulièrement difficile à assumer. Il lui a été, en effet, nécessaire d’encaisser, au cours de ces dernières semaines, la terrible gifle d’un peuple qui, selon lui, «n’existe pas» ! Il faut, en effet, se rappeler qu’en amont de son invasion, dans un article écrit en juillet 2021, Poutine faisait sa thèse que les Ukrainiens sont en fait des Russes, comme les Biélorusses, et qu’il était donc naturel, en quelque sorte, de simplement les ramener à la maison (*). À la veille de l’invasion en février dernier, c’est l’existence de l’État ukrainien lui-même qui était remise en question. Admettre dès lors, qu’une simple «opération militaire spéciale» contre les nouveaux «nazis» de Kiev ne pouvait toujours pas accoucher d’une victoire finale, plus de sept mois après l’invasion, est particulièrement indigeste. D’autant plus pour ce leader maximo d’un pays a priori plus grand et plus fort, qui vient par ailleurs de se faire gentiment rabrouer par Modi et même Xi qui, mercredi, après l’allocution de Poutine, appelait à un «cessez-le-feu dans le dialogue», en plus du respect de l’intégrité territoriale et des soucis de sécurité de tous les pays ! Sacrés défis ! Mais cette admonition va sûrement compter, venant de son allié «sans limites» chinois ?
Quand il y a une contre-offensive ukrainienne dans le Sud et dans l’Est, qui reprend 3 800 km2 de territoire occupé par les Russes, l’opération militaire russe subit un revers particulièrement difficile à encaisser. La mobilisation de 300 000 soldats (**), que Poutine voulait éviter à tout prix pour ne pas engendrer une réaction négative du peuple russe, est un aveu d’échec, au moins partiel.
Mais Poutine a pour modèle Staline plutôt que Gorbachev ou Pierre le Grand et même si embarrassé, son hyper pragmatisme (et ses pectoraux) lui suggèrent de ne rien lâcher et de tenir, s’il le faut, jusqu’au bout. Ainsi, la mobilisation immédiate de ces 300 000 réservistes, l’armée russe soulignant que 25 millions de Russes sont éventuellement mobilisables et que l’arme nucléaire fait partie des solutions possibles pour «protéger» la nation ! En d’autres mots, il tente de rappeler au monde que la Russie est un rouleau compresseur en puissance qui finira par passer, malgré le soutien logistique des nations européennes et des Américains.
Lui, Poutine, ne reculera pas. Zelensky n’est pas prêt à le faire non plus. Poutine pense peut-être que le soutien à l’Ukraine va s’effondrer et que les envois d’armes vont être réduits, poussant l’Ukraine à la table des négociations ? Les premières réactions à l’Ouest sont loin de l’indiquer. On est donc parti pour une longue guerre, encore que les 300 000 réservistes de Poutine et ses menaces indiquent plutôt de la faiblesse. Les citoyens russes ont d’ailleurs commencé, à nouveau, à protester. Il est aussi probable que Poutine cherchera des responsables ou des boucs émissaires pour expliquer son échec jusqu’ici et que ceux qui pourraient se sentir menacés s’organiseront en conséquence pour se protéger. Si la victoire peut avoir beaucoup de pères, les revers, quant à eux, sont, invariablement, orphelins, n’est-ce pas ?
En attendant, avec trois jours de préavis, Poutine va organiser, à partir de ce week-end et en pleine contre-offensive ukrainienne et sous les bombes, des référendums dans les quatre régions que l’armée russe occupe actuellement ! Comme disait Macron à l’ONU, si n’était pas tragique, on pourrait en rire ! Ces «consultations populaires» sont, cependant, extrêmement dangereuses, en ce que, les résultats étant connus d’avance, l’Ukraine va inévitablement, à partir de la publication des résultats, être accusée d’attaquer le «territoire» russe luimême, alors qu’il s’agissait encore jusqu’à cette semaine de libérer… son propre territoire envahi de soldats russes ! Ces «consultations populaires» sont aussi dangereuses pour les électeurs, bien sûr, à qui les «autorités» ont apparemment conseillé de ne pas faire la queue, de peur d’être pris pour cible !
On peut supposer que Poutine continuera à arguer que c’est l’Ouest qui, par son comportement, est responsable de son invasion. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le chef de la diplomatie russe arguait, cette semaine encore au Conseil de sécurité, que la partie lésée n’était pas le pays dont les villes sont détruites, dont les civils sont tués ou torturés, dont les infrastructures sont explosées et dont les territoires sont envahis ; mais bien la Russie, c’est-àdire l’agresseur ! Le fait brutal est qu’un comportement est loin d’être une action et que cette guerre aura été voulue par Poutine qui ne prévoyait sûrement pas que l’Ouest repu pouvait vouloir souffrir, ni pour des principes, ni pour l’Ukraine, et que cette dernière était capable de résister au-delà de quelques semaines.
Il est difficile d’entrevoir une conclusion à cette guerre pour le moment. Ce qui est sûr, c’est que l’ordre du monde est sacrément bouleversé depuis février dernier et que les désordres qui s’ensuivirent ne vont pas s’estomper de sitôt. Merci pour tout cela M. Poutine !
Comme il paraît loin ce temps dans les années 90 où les Russes, sous Gorbachev, puis Eltsine, permettaient la réunification de l’Allemagne et où l’espoir d’un rapprochement de la Russie avec l’Europe semblait possible sans, était-il compris, une expansion de l’OTAN vers l’est (***). Ce qui s’est passé ensuite reste complexe et plutôt flou, mais Poutine, formé au KGB, après ses expériences de la pègre de Leningrad et de Saint- Pétersbourg, et qui prenait la direction de la Russie en 1999 après Eltsine, a évoqué une «trahison» de l’Ouest, a trouvé l’OTAN menaçante et veut à tout prix rétablir les zones tampons autour de la Russie. C’est ce qui explique peut-être, d’ailleurs, pourquoi autant de pays d’Europe de l’Est ont souhaité rejoindre l’OTAN ces dernières années… par précaution ?
On peut parier que bien peu de citoyens du monde, englués dans leurs problèmes quotidiens, sont conscients des dangers qui guettent la planète dans les prochains mois. Quoi qu’il en soit, la mobilisation de 300 000 soldats en Russie a immédiatement ramené au moins les Russes à la réalité d’une guerre dont ils se souciaient peu jusqu’ici, vu que le message officiel était que ça se passait «comme prévu». Queues de voitures aux postes-frontières, billets d’avion en grande demande pour quitter le pays, quelques manifs contre la conscription en sont les symptômes visibles. Pour contrer, la police innove en servant des ordres immédiats de mobilisation aux manifestants qu’elle arrête et le gouvernement promet de payer les nouveaux conscrits au même tarif que les mercenaires sous contrat, c.-à-d., 3 000 dollars au mois, soit cinq fois le salaire moyen russe ! Pour peut-être mourir, ça va suffire, vous croyez ? Les «Poutine aux tranchées !», que l’on pouvait lire sur des cartons griffonnés dans certaines manifs, disent que ça ne suffira pas pour tout le monde…
La résistance ukrainienne et les gains possibles de territoire avant l’hiver, la pression internationale grandissante, l’opinion publique russe qui bascule, une armée russe un peu démoralisée vont mettre Poutine sous pression au cours des semaines qui arrivent. Il y a deux réactions possibles : ceux qui, en interne, voient et ne veulent plus du coût terrible de l’aventure ukrainienne, prennent le dessus, évacuent Poutine, cherchent une paix honorable et sortent la Russie de sa position actuelle de paria du reste du monde. Alternativement, Poutine trouvera des boucs émissaires à ses difficultés ukrainiennes, profitera pour se débarrasser de ceux qui sont gênants et, coincé comme jamais auparavant, sortira ses griffes et ira jusqu’au bout de sa logique.
Ce serait alors la 3e guerre mondiale et ni Xi, ni Modi, ni Erdogan, qui voient clairement le danger à l’horizon n’auront réussi à protéger la planète du pire. Espérons seulement qu’une telle guerre ne soit pas nucléaire, car, comme le reconnaissait la déclaration du P5 nucléaire le 3 janvier dernier, Russie comprise, «a nuclear war cannot be won and must never be fought !»…
(*) https://www.rfi.fr/fr/europe/20220308-guerre-en-ukraine-pour-vladimir-poutine-le-peuple-ukrainien-n-existe-pas
(**) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/21/vladimir-poutine-annonce-la-mobilisation-de-300-000-reservistes-pour-le-front-ukrainien_6142531_3210.html
(***) https://www.slate.fr/story/159571/geopolitique-russie-occident- geographie-histoire-guerre-froide-otan
(***) https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2017-12-12/nato-expansion-what-gorbachev-heard-western-leaders-early
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