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L’ère de la volatilité

12 octobre 2022, 09:15

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«L’homme est un loup pour l’homme». On connaît cette pensée de Thomas Hobbes, qui était convaincu que l’instinct de conservation et la peur de la mort poussent l’être humain à se défendre et à user de violence. Le discours du philosophe britannique était éminemment politique car il servait de justificatif à sa pensée qu’il faut un État puissant pour empêcher l’homme de donner libre cours à ses pulsions destructrices, de sortir de ce qu’il appelait «le temps de guerre», un état de conflit intérieur qui est contre-productif et freine le progrès économique.

En ce sens, le philosophe du 17e siècle avait raison : c’est quand les politiques gouvernent avec intelligence et sagesse ainsi que dans le respect de la loi que l’humanité prospère. Mais, à rebours de la philosophie hobbesienne, ce sont les rêves de grandeur des puissants, leur obsession de toujours étendre leur champ d’influence, d’annexer de nouveaux territoires ou encore les rivalités idéologiques qui ont constamment poussé les nations à se faire la guerre. Aujourd’hui encore, l’histoire se répète. Alors que l’on entre de plain-pied dans une nouvelle décennie et qu’on essaie de faire redémarrer une machinerie économique fortement grippée par le Grand confinement, la croisade de Poutine en Ukraine a fait voler en éclats les espoirs de reprise mondiale.

Depuis ces huit derniers mois, le conflit russo-ukrainien a plongé le monde dans une ère de volatilité, d’incertitude, de complexité, d’ambiguïté et de disruption (VICA-D), un cercle vicieux duquel les nations tentent de s’extraire. Mais nul ne se fait d’illusions. Il faudra encore du temps avant que les prix des produits alimentaires et des hydrocarbures n’arrêtent de s’emballer et que les chaînes d’approvisionnement ne se stabilisent. Par rapport aux prix de l’énergie, les efforts considérables des banquiers centraux pour normaliser leurs taux d’intérêt malgré les risques sur la croissance pourraient prendre un sérieux revers suivant la décision des 23 pays composant l’Opep+, qui comprend la Russie, de réduire leur production de 2 millions de barils par jour à partir du mois de novembre. Ce qui n’a d’ailleurs pas manqué de provoquer le courroux du président américain, Joe Biden, qui estime que cette décision du cartel vient ruiner les efforts des pays développés pour contenir les prix des commodités.

«Dans ce monde qui se réinvente, les prévisions macroéconomiques sont plus que jamais devenues hypothétiques»

Pour casser la spirale inflationniste devenue la priorité des priorités, les banques centrales, à commencer par la Réserve fédérale, se sont engagées dans une stratégie accélérée de resserrement monétaire. Or, cette politique de désinflation est un décélérateur de croissance. Aujourd’hui, il est clair que le scénario d’une récession mondiale est tout à fait plausible. Après la directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce, Ngozi Okonjo-Iweala, qui a déclaré qu’une récession mondiale est à nos portes, cela a été au tour de la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, d’annoncer, la semaine dernière, que tous les indicateurs semblent démontrer qu’entre la fin de cette année et 2023, au moins un tiers des pays pourraient se retrouver avec une récession technique. Autrement dit, ils devraient enregistrer deux trimestres consécutifs de repli de leur PIB. Ce n’est pas tout : la directrice du FMI prévient que même dans les économies où la croissance est positive, les foyers auront «le sentiment d’être en récession, à cause de la hausse du coût de la vie».

Qu’en sera-t-il pour Maurice ? Ces deux dernières semaines, la Banque de Maurice, puis le ministre des Finances et finalement SBM Insights ont reconnu l’urgence de lutter contre une inflation persistante, tout en se montrant optimistes par rapport à la croissance. Justifiant sa décision de relever le taux repo de 75 points de base, la Banque centrale prévoit que l’inflation sera de 10,6 % en 2022. Alors que la croissance est calculée à 7,4 %. Pour sa part, Renganaden Padayachy est confiant en une croissance supérieure à 7 %, avec le PIB grimpant à Rs 544 milliards contre Rs 512 milliards en 2019, soit avant la pandémie, même s’il est vrai que la roupie a perdu environ 20 % de sa valeur face au dollar sur cette période. Quant aux analystes de SBM Insights, ils anticipent un taux d’inflation de 10,4 % en 2022, puis de 4,5 % l’année prochaine. S’agissant de la croissance, ils prévoient une expansion du PIB réel oscillant entre 6,5 % et 6,7 % en 2022 et de 5,3 % en 2023.

Au niveau de la balance courante, une détérioration de la situation est attendue malgré la reprise dans le tourisme (la barre du million d’arrivées devrait être atteinte) et le fait que le secteur manufacturier tourné vers l’exportation devrait engranger des recettes de quelque Rs 100 milliards cette année. Ainsi, selon SBM Insights, le déficit de la balance courante en pourcentage du PIB devrait grimper à environ 14,2 % en 2022, une estimation supérieure à celle du FMI qui, dans son dernier rapport sur l’Article IV, prévoit un taux de 13,5 %. Concernant la balance des paiements, les dernières estimations officielles font état d’un déficit de Rs 21,4 milliards au premier semestre de 2022.

Les prévisions sur la croissance sont encourageantes et donnent une visibilité concernant la sortie de crise, mais la vérité, c’est que dans ce monde qui se réinvente, les prévisions macroéconomiques sont plus que jamais devenues hypothétiques. Car elles sont aujourd’hui tributaires des problématiques géopolitiques. Les modèles économétriques peuvent difficilement mesurer l’impact d’une telle variable sur les perspectives de croissance. Ainsi, dans l’absolu, on peut postuler que la baisse de la demande induite par le relèvement des taux d’intérêt par les banques centrales va faire théoriquement chuter les prix, ceteris paribus (toutes choses étant égales par ailleurs). Mais c’est faire abstraction des calculs géopolitiques. Ainsi, la démarche de l’OPEP+ de réduire drastiquement la production des hydrocarbures dans le but de stabiliser le marché (d’aucuns y voient plutôt une forme de soutien à la Russie) vient rendre caduques les estimations par rapport à l’inflation.

Par ailleurs, dans ce monde qui se bipolarise, où les BRICS et l’Organisation de coopération de Shanghai (organisation intergouvernementale composé de 9 pays membres, dont la Russie, la Chine et l’Inde) semblent vouloir s’affirmer comme un bloc économique, il est extrêmement aléatoire de prédire jusqu’à quand perdurera cette ère d’instabilité et quelles en seront les conséquences sur l’économie mondiale.