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Haute tension !
Alors que le rideau s’apprête à tomber sur 2022, force est de constater que nous sommes encore loin de nous extirper de cette vase qui nous freine dans notre marche vers l’avant. La guerre d’agression de la Russie en Ukraine a brisé les espoirs d’une reprise de l’économie mondiale et engendré deux nouvelles crises : la crise énergétique et la crise alimentaire. On n’en demandait pas tant de Vladimir Poutine, surtout que cette «opération militaire spéciale» qu’il a déclenchée est venue fragiliser davantage une économie mondiale disloquée par la pandémie, avec pas moins de 85 000 milliards de dollars volatilisés.
Nous sommes aujourd’hui dans un cycle de crise long qui ne ressemble aucunement aux cycles économiques qu’on a connus par le passé où une phase de crise est généralement caractérisée par une déflation et une baisse de la production, comme l’a théorisé Clément Juglar. Ce que nous vivons est inédit : c’est un cycle de stagflation où les prix des commodités et de l’alimentaire demeurent résolument élevés tandis que la croissance peine à décoller. En raison de la surchauffe des prix qui menace de tout faire dérailler, le concert des nations a compris qu’il fallait, à court et moyen termes, faire une croix sur la croissance et se focaliser sur une inflation galopante, qui a été nourrie par les perturbations aux chaînes d’approvisionnement durant la pandémie avant de prendre des proportions inquiétantes avec l’éclatement du conflit russo-ukrainien.
Cela nous amène à la situation qu’on connaît : un resserrement agressif des conditions monétaires par les banques centrales pour casser l’inflation et ancrer les anticipations d’inflation dans leurs économies respectives. Une stratégie concertée et expéditive qui, quoique montrant déjà des signes positifs aux États-Unis et au Brésil, va définitivement impacter l’appareil productif et provoquer un ralentissement de la croissance pour les 12, voire 14 prochains mois. D’ailleurs, dans ses dernières perspectives économiques rendues publiques le mois dernier, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) confirme que la situation est loin de se décanter. Estimée à 3,1 % en 2022, la croissance refluera à 2,2 % en 2023, avant de grimper sensiblement à 2,7 %. Des prévisions qui sont sensiblement plus alarmantes que celles du Fonds monétaire international (FMI) qui, dans son dernier World Economic Outlook en octobre, a calculé la croissance mondiale à 3,2 % en 2022, 2,9 % en 2023 et 2,7 % en 2024. L’institution de Bretton Woods n’écarte toutefois pas une détérioration des perspectives de l’activité économique, soutenant qu’il y a une probabilité de 25 % que l’expansion du PIB mondial soit inférieure à 2 %.
« Ce que nous vivons est inédit : c’est un cycle de stagflation où les prix des commodités et de l’alimentaire demeurent résolument élevés tandis que la croissance peine à décoller »
Sur le front de l’inflation, l’équipe du Département des Affaires économiques de l’OCDE, estime que dans le cas des pays du G20, elle tournera autour de 8,6 % en 2022, 6 % en 2023 et 5,4 % en 2024.
Qu’en est-il pour l’économie mauricienne ? Que ce soit du côté des pouvoirs publics que du secteur privé, l’on est pleinement conscient qu’il est primordial de sortir l’artillerie lourde pour endiguer l’inflation qui, depuis plusieurs mois, oscille autour de 10 %, sous peine que notre situation d’extrême vulnérabilité – nous sommes un importateur net de produits alimentaires et pétroliers – nous amène un peu plus près du précipice. Donc, après avoir longtemps laissé glisser la roupie, la Banque de Maurice a changé son fusil d’épaule et s’est alignée depuis le mois de mars sur la stratégie des banques centrales en multipliant les interventions sur le plan de la politique monétaire et au niveau du marchés des changes. L’objectif est, avant tout, de spéculer en faveur de la roupie pour la rendre plus attrayante vis-à-vis des principales devises. Dans le même temps, il s’agit de répondre à la problématique de pénurie de devises sur le marché.
Or, cette nouvelle stratégie de la Banque centrale a, bien évidemment, un coût. D’abord, l’une des conséquences de la vente du dollar sur le marché (soit une valeur de Rs 3,6 milliards depuis le début de l’année) est l’affaiblissement de son bilan, avec le Special Reserve Fund (SRF) se réduisant comme une peau de chagrin. Ainsi, les derniers états financiers montrent que le solde du SRF n’était plus qu’à Rs 900 millions en octobre dernier, contre Rs 2,5 milliards en septembre. Mais l’effritement du SRF s’explique surtout par deux gros transferts de la Banque centrale vers le Trésor public. Le premier remonte d’avant la pandémie, avec la Banque de Maurice transférant Rs 18 milliards en décembre 2020 pour rembourser une partie des dettes du gouvernement. Juste avant ce transfert, le SRF disposait d’un solde de Rs 27,9 milliards. La seconde opération porte sur un transfert de Rs 32 milliards effectué dans le sillage du Budget 2020-2021 pour alimenter le Consolidated Fund. Au total, ce ne sont pas moins de Rs 50 milliards qui, d’un trait de plume, ont été «written off» du bilan de la Banque de Maurice.
Avec le SRF ayant des provisions de seulement Rs 900 millions, la Banque de Maurice dispose désormais de très peu de marge de manœuvre pour mener des opérations de stérilisation monétaire en vue de défendre la roupie face aux pressions inflationnistes dans un proche avenir. De même, il sera compliqué pour la Banque centrale de travailler dans le sens d’un alignement de la politique fiscale et monétaire.
Il est toutefois utile de faire ressortir que le cas de la Banque de Maurice n’est pas isolé. Ainsi, au troisième trimestre, la Banque du Canada a accusé des pertes de 522 millions de dollars. C’est la première fois depuis 87 ans qu’elle perd de l’argent. Dans son dernier rapport financier trimestriel, la banque centrale indique que les revenus provenant de l’intérêt sur ses actifs n’ont pas suivi le rythme des frais d’intérêt sur les dépôts à la banque, qui ont augmenté dans un contexte de hausse rapide des taux d’intérêt. De plus, les hausses agressives des taux d’intérêt de la Banque du Canada ont fait augmenter le coût des frais d’intérêt qu’elle paie sur les soldes de règlement déposés dans les comptes des grandes banques.
2023 sera une année de challenges. On ne sait pas qu’elle sera la violence des vents contraires qui s’abattront sur nous. Aura-t-on le muscle financier pour y faire front ?
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