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Dictature de la «majorité»
Pourquoi le monde est-il si intolérant ?
Je ne le sais pas, mais la dictature de la «majorité» en est souvent responsable…
Prenez l’Inde. Surfant sur l’un des plus forts taux de croissance de la planète et quelques belles réussites tant diplomatiques que scientifiques, M. Modi a-t-il vraiment besoin de diviser son pays à ce point et de désavouer ses minorités, musulmanes (14,2 %), chrétiennes (2,3 %) et autres, pour garantir ces progrès impressionnants ?
Peu de personnes le pensent. Mais le BJP si ! Le nationalisme hindou fortement encouragé est, semble-t-il, politiquement efficace, en s’appuyant sur les 80 % qui pratiquent l’hindouisme et à qui on présente les musulmans et les chrétiens comme issus d’envahisseurs plus récents. Ce nationalisme «majoritaire» fait d’ailleurs partie de comportements qui ne sont ni nouveaux, ni particulièrement indiens. Il semble, en effet, que jouer la carte d’une «majorité menacée» est extrêmement profitable politiquement pour s’assurer le pouvoir et s’y maintenir. C’est bien d’ailleurs pour cela que les politiciens aiment jouer cette carte !
La Chine, de son côté, affiche 56 minorités ethniques, mais là où les Han (93 % de la population) n’étaient pas majoritaires, le gouvernement a été soigneusement actif. Le Tibet est ainsi envahi sans provocation en 1950. En 1951, les Tibétains signent un accord en 17 points, mais sous la contrainte. L’Inde reconnaît le contrôle du Tibet par la Chine en 1954. Un soulèvement des Tibétains, réclamant l’indépendance, a lieu en 1959 et sa répression fait 87 000 morts. Six mille monastères seront détruits durant la Révolution culturelle (1966-76) et jusqu’à 1 million de Tibétains auront été tués lors du Grand Bond en Avant (1958-62). La région autonome du Tibet est aujourd’hui pacifiée, mais clairement surveillée de près. Au Xinjiang, qui, soit dit en passant, produit 20 % du coton mondial, ce sont les Ouïghours qui inquiètent le pouvoir central et qui sont régulièrement «rééduqués», brimés et gardés à l’œil.
Aux États-Unis, pays d’immigrants de toutes les régions du monde et qui a pourtant bâti sa vigueur sur sa population extrêmement cosmopolite, une large frange des populations blanches disparates, voyant sa «majorité» actuelle de 67 % être menacée à l’horizon de 2050 – quand elle aura, selon Pew Research, passé sous la barre des 50 % – alimente des mouvements réactionnaires variés et, partant, le mouvement MAGA de Trump. Le parti républicain, le parti de Lincoln, en est aujourd’hui devenu son prisonnier consentant.
Qui a dit que mammon ne régnait plus et que tout n’était pas achetable ?
De nombreux observateurs aguerris ont proposé que le mouvement Brexit était aussi un mouvement «majoritaire» contre les immigrés. Il suffit peut-être de remarquer que le Guardian annonçait en 2010 que les minorités ethniques représenteraient 20 % de la population de la Grande-Bretagne en 2050, selon l’université de Leeds, alors que le Daily Mail, citant une étude de l’université d’Oxford, prédisait, à la veille du vote du Brexit, plutôt 40 % ! Mettant de côté l’Écosse, l’Irlande du Nord et le pays de Galles, moins hétérogènes, ce pourcentage serait, après 2050, de plus de 50 % pour la seule Angleterre ! Les Rohingas au Myanmar sont violemment victimes du même phénomène et le prêtre bouddhiste ultra nationaliste U Wirathu vient d’ailleurs d’être décoré cette semaine par l’armée au pouvoir ! C’est dire ! Et que remarquer de différent pour les Sunnis en Iran (*) ou pour les Chiites en Arabie saoudite (**) ou pour les 21 % d’Arabes en Israël (***) ?
Le monde est intolérant, mais il est clair que l’intolérance des minorités, plutôt qu’une saine intégration sur des bases égalitaires, n’est pas une bonne recette à moyen terme, parce que génératrice évidente de ressentiment et de rancœur qui finissent invariablement dans des accrochages et la confrontation. Pire ! Si jamais la minorité devient majorité, ou que l’opprimé monte en selle, comme au Rwanda, les dégâts peuvent être conséquents.
Il y a un prix à payer pour ces pays qui, de manière délibérée et appuyée, favorisent leur majorité aux dépens des autres. Car de telles discriminations mènent souvent à un raidissement majeur de la minorité, et des demandes d’autonomie allant même jusqu’à la violence et une éventuelle scission. La guerre du Biafra en est un exemple qui n’a pas finalement abouti à une sécession, mais qui, en trois ans, a quand même laissé plus d’un million de morts. Les tentatives catalanes de quitter l’Espagne n’ont pas été concluantes non plus jusqu’ici. Le Soudan du Sud, par contre, longtemps négligé et violenté par le gouvernement musulman de Khartoum, comme le Darfour d’à côté d’ailleurs, obtenait, par contre, son indépendance après un référendum populaire en 2011. Cela n’a malheureusement pas permis de sortir le pays de la misère, malgré ses vastes ressources minières, agricoles et pétrolières ! Pourquoi ? Ironiquement, c’est la centralisation grandissante des avantages et bénéfices du pouvoir autour du président Kiir et de la tribu des Dinkas aux dépens du vice-président Machar et de «sa» tribu des Nuer qui conduisirent à… la guerre civile !
Il faut ici faire les éloges des pays pluriels qui trouvent les bonnes formules pour préserver leur éclectisme sans heurts majeurs et vouer aux gémonies ceux-là même qui, pour des considérations bassement politiques ou pouvoiristes, décident de risquer ces équilibres en privilégiant l’émotivité de la «majorité menacée». Ou d’évoquer les droits supposément supérieurs de cette même majorité, même si cette «majorité» n’est que relative. Et c’est pour cela sans doute qu’un pays qui peut introniser, ne serait-ce qu’occasionnellement, un Barack Obama ou un Rishi Sunak, a plus de chance de préserver sa cohérence future, malgré quelques soubresauts prévisibles en attendant…
Il est, par ailleurs, clair que de nombreux mouvements autonomistes ne sont pas du tout réalistes et sont souvent créés par des activistes en mal de devenir eux-mêmes des chefs tout puissants, plutôt que de demeurer des sous-chefs (ou p’tits chefs) dans une plus grande entité. Si vous allez consulter la liste actualisée des mouvements séparatistes de la planète sur Wikipédia, vous serez, je pense, aussi surpris que moi du nombre étonnant de tels mouvements qui, s’ils aboutissaient tous, feraient plus que tripler le nombre de pays aux Nations unies ! On y trouve, par exemple, la proposition de suprématistes blancs américains pour un North West Territorial Imperative côtoyant sagement celle des descendants d’esclaves pour une New Afrika, regroupant cinq anciens États confédérés sécessionnistes ! On y trouve les ambitions du Khalistan Sikh au Punjab, tant pakistanais qu’indien. Plus près de nous, chez nos voisins réunionnais, les communistes et autres, qui veulent s’affranchir de Paris, auraient déjà un nom pour leur pays : la République de Zabon… !
Ici, on ne peut sûrement pas dire que tout est parfait, même si la coexistence pacifique quotidienne est largement réelle. Le mouvement postcolonial qui menait nos premiers gouvernements à «rectifier le tir», notamment dans les nominations et recrutements dans la fonction publique et les corps paraétatiques, a depuis longtemps pris des allures de privilèges débalancés et visiblement enracinés. Les deux dynasties qui s’éternisent au pouvoir depuis l’Indépendance changent évidemment des têtes quand elles se succèdent au pouvoir, mais la logique et le mythe «majoritaire» du 4-14 dicte des déséquilibres ethniques qui ne se résorbent décidément pas. On défend souvent cela en soulignant que le clivage est lié à l’effort, notamment sur le plan académique. Le secteur privé, qui emploie plus de deux fois le nombre de travailleurs que le secteur public n’affiche dans son establishment, se débrouille pourtant avec ce qui lui reste ; les emplois publics étant devenus de plus en plus recherchés pour les divers avantages, souvent injustifiés, qui s’y rattachent. Le malaise qui s’en dégage est palpable et s’accumule, mais reste jusqu’ici largement toléré.
Tant mieux ! Mais jusqu’à quand ?
Ne serait-il pas prudent de souscrire à quelques polices d’assurance pour l’avenir et de pivoter désormais délibérément vers plus d’ouverture et d’équité ?
***
Quel peut donc être le sens d’affûter un système de justice précis, l’arcbouter sur des précédents et nourrir les cervelles les plus aiguisées si, au bout du compte, on peut défaire des décisions de cette justice en… graciant ?
***
Harry et Meghan ? Vraiment ? Pourquoi donc parler d’eux et de leur misérable vie de privilèges immérités ? Gagner apparemment 88 millions de livres pour six épisodes de linge sale royal sur Netflix, ça vous paraît raisonnable ? Acceptable ? Décent ? Pour un couple plus qu’ordinaire qui n’a qu’un filon : celui d’être «royal»… ? Et vous savez quoi ? Harry «Barberousse», qui n’a jamais complété une journée de travail réel de sa vie, a, en passant, fait la leçon à l’Assemblée générale des Nations unies, en juillet, sur la… pauvreté ! À évacuer, sûrement et définitivement, avec le salaire annuel de 75 millions de dollars que Ronaldo va toucher en Arabie saoudite, à 37 ans, pour «l’amour du football», alors que, selon Forbes, il vaut déjà 490 millions de dollars !
Qui a dit que Mammon ne régnait plus et que tout n’était pas achetable ? Sûrement pas la «majorité», qu’elle soit partisane de flonflons ou de ballon rond !
*) https://iranwire.com/en/factchecking/71310/
(**) https://foreignpolicy. com/2021/05/11/mohammed-binsalman-mbs-saudi-arabia-still-treatsshiites-second-class-citizens/
(***) https://www.jpost.com/opinion/ article-722719
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