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Cerveaux en fuite
Au vu et au su de ce qui se passe chez nous, tant sur le plan social/politique qu’économique, pouvons-nous blâmer les lauréats s’ils ne reviennent pas au pays après leurs études ?
Entourés de leurs proches, juchés sur les épaules de leurs amis, nombre de lauréats marquent un temps d’arrêt quand on les interroge sur leur avenir, mais la plupart avouent, dans l’excitation du moment, qu’ils songent, malgré tout, à revenir travailler au pays et s’occuper de leurs parents (qui ont tellement investi dans leurs leçons particulières). Mais les statistiques prouvent que ce n’est pas vrai.
Au moins 80 % des lauréats ne reviennent pas ; les chiffres officiels n’existent pas parce que nos jeunes cerveaux s’évaporent, après leurs Masters ou Doctorat, dans la nature, sans donner signe de vie et s’en contrefichent du bond avec l’État mauricien. Nos élites préfèrent en réalité aller travailler pour des multinationales du privé ou des agences internationales, ou encore pour des gouvernements étrangers que de se mettre au service des ministres qui ne brillent pas par leurs compétences mais parce qu’ils sont nés dans telle ou telle caste. N’est-ce pas normal s’ils tournent le dos à un pays qui ne cultive pas l’égalité des chances et qui transforme une poignée de jeunes en héros d’un système cruellement élitiste et forcément injuste ? Notre faute collective : l’on ne braque pas les projecteurs sur les exclus du système éducatif, qui demeurent largement majoritaires, et qui vont rejoindre l’économie parallèle ou la face cachée du pays.
Si l’éducation se veut par essence démocratique, qu’elle permet une ascension sociale basée, non pas sur le pistonnage, mais sur le mérite de l’individu, les contre-exemples de ceux qui réussissent ont depuis longtemps pris le relais. Le mal l’a emporté sur le bien. Les Franklin qui possèdent des bateaux n’ont pas besoin de savoir lire ou écrire. Ils ont besoin de connexions mafieuses et de l’appui des politiciens pour réussir ! Et si la presse s’intéresse à eux, ils ont des hommes de loi qui vont essayer de vous intimider avec des réclamations par dizaines de millions.
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Après un parcours scolaire, somme toute banal et sans grand éclat, d’abord dans une Star School portlouisienne (Raoul Rivet), puis dans un collège confessionnel dit d’«élite» (le collège du Saint-Esprit), et ayant subi le CPE et les examens du secondaire de Cambridge comme des centaines de milliers d’autres Mauriciens, je pense que, davantage que les Result Slips, la réussite scolaire devrait se mesurer sur d’autres critères, comme le simple plaisir d’aller ou pas à l’école pour discuter avec les enseignants. Au-delà des Exam Papers, il est primordial d’acquérir les enseignements de base permettant de solutionner un problème qui surgit n’importe quand dans la vie, de trouver son autonomie et son épanouissement dans la collectivité, de redonner à la communauté ce qu’on a reçu… Il semblerait que pas tous les lauréats aient compris cela. Malgré tout l’espoir – et l’argent – qu’on place en eux.
Le phénomène de la fuite des cerveaux a des effets négatifs – insoupçonnés et incalculés – sur notre croissance et notre développement économique. L’émigration mauricienne s’accélère aujourd’hui non seulement en raison d’un système politique désuet mais à cause de la mondialisation qui pousse nos meilleurs diplômés ou travailleurs à l’exil, loin des leurs. On compterait aujourd’hui au moins 400 000 membres de la diaspora mauricienne, qui réclament leur droit de vote afin de bousculer le statu quo.
Plusieurs études démontrent que tant que les facteurs conduisant à l’émigration (crises économiques, taux de chômage élevé, manque de services sociaux adaptés comme la santé et l’éducation, communalisme, népotisme et absence d’égalité des chances et de justice sociale, etc.) persisteront, il serait quasi impossible de faire revenir les lauréats et les expatriés. Ce n’est, en effet, pas facile de rentrer au pays et retrouver certaines mentalités étriquées (proportionnelles à la superficie du territoire ?) et des passe-droits dignes, ainsi que la nomination de petits copains et la protection de grands coquins…
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