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La plume versus l’épée
C’est clairement une tentative d’intimidation vis-à-vis de la presse indépendante. Les récentes perquisitions des locaux de la BBC en Inde par le fisc quelques semaines après la diffusion d’un documentaire critique sur Narendra Modi s’inscrivent en ligne droite de la dérive autocratique constatée en Inde. Les effets d’entraînement de ce virage anti-démocratique se font sentir depuis plusieurs années chez nous. Raison de plus pour ne pas rester indifférents face aux tactiques liberticides du pouvoir, où qu’il soit.
Les recettes sont souvent les mêmes. En 2016, aux États-Unis, Donald Trump, alors encore candidat à la présidentielle, déclarait à chaque entretien que «media has been unbelievably dishonest». Il a alors interdit d’accès plusieurs journalistes à ses réunions, comme Pravind Jugnauth avait été conseillé de le faire à Maurice. Trump promettait de nouvelles lois pour bâillonner la presse afin de supprimer les critiques contre lui et son régime. Comme président, il utilisait le terme «lies» pour évoquer des faits qui ne lui plaisaient pas et qualifiaient les journalistes qui ne le flattaient pas d’«ennemis du peuple» (comme Hitler avant lui). Le nazi disait «Lügenpresse», Trump, comme un disque rayé, répétait «Fake News».
En 1971, dans le sillage de la propagande autour de la guerre au Vietnam, Hannah Arendt, survivante de l’Holocauste devenue philosophe en sciences politiques, soulignait l’importance des faits pour contrecarrer les discours haineux des politiciens : «Under normal circumstances the liar is defeated by reality, for which there is no substitute; no matter how large the tissue of falsehood that an experienced liar has to offer, it will never be large enough, even if he enlists the help of computers, to cover the immensity of factuality.» Sauf qu’aujourd’hui, avec les progrès technologiques et les réseaux sociaux, la partie sur les ordinateurs n’est plus vraie. L’auteur américain Timothy Snyder (professeur d’Histoire à Yale) relativise : «For many Americans, the two-dimensional world of the Internet has become more important than the threedimensional world of human contact. Within the two-dimensional Internet world, new collectivities have arisen, invisible by the light of the day – tribes with distinct worldviews, beholden to manipulations.»
C’est pour contrer les Jugnauth, Trump et Modi de ce monde et leurs vastes armées de trolls que nous aurons toujours besoin de journalistes libres et d’une presse indépendante. Parce qu’aujourd’hui avec les services des Israéliens, comme ceux de la Team Jorge, les campagnes électorales prennent une autre envergure, avec l’injection de millions et de millions de dollars pour désinformer. Et les journalistes, les vrais, pas les mercenaires, qui ont un sens poussé du service public sont ceux qui peuvent encore démêler le faux du vrai dans l’espace public. À cet égard, chacun devrait s’y mettre. Essayez d’écrire un article sur l’état du monde dans lequel nous vivons. Voyagez à travers le pays, recueillez des avis pluriels, trouvez et développez des sources, maintenez ces sources et recoupez-les avec d’autres sources du terrain, fouillez les archives, recherchez les autres articles déjà publiés sur le thème que vous avez choisi, vérifiez, contrevérifiez, écrivez, relisez-vous, faites relire par d’autres, intégrez les commentaires qui vous semblent pertinents et publiez. Tout cela dans un court laps de temps souvent. Si on aime ce que vous avez écrit, et si vous aimez cet acte d’écriture pour le public, pensez à créer un blog, qui pourrait contenir tous vos textes. Combien de temps pourriez-vous tenir à ce rythme ? En attendant de trouver une réponse à cette quête personnelle, au lieu de chercher la petite bête, soutenez ceux qui font ce métier depuis des années, sans fléchir, malgré tous les obstacles. Car plus il y aura de voix et de plumes, moins les autocrates auront, seuls, voix au chapitre… et mieux le pays et la démocratie se porteront.
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