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Le temps d’un nouveau cycle
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Le temps d’un nouveau cycle
Il y va ainsi de la vie des nations.
Elle est balisée par des phases temporelles qui marquent des étapes distinctes et formatives. Les citoyens mauriciens d’âge mûr auront tous connu, durant leur vie, trois de ces phases historiques : 1967-1982, 1983- 1995, 1995-2023.
Ces mêmes Mauriciens, de même que les plus jeunes, pourraient, dans les prochains mois, participer ou assister à l’inauguration d’une quatrième phase. Toutes les conditions sont réunies pour impulser une évolution : l’épuisement manifeste des politiciens des années soixante-dix/quatre-vingt, (Paul Bérenger, Navin Ramgoolam), l’usure d’un pouvoir absolu et scandaleux (Pravind Jugnauth), l’érosion globalement du culte dynastique ou patronymique, et la soif citoyenne d’une Refondation. Le désir de changement est très marqué chez les jeunes et les femmes même si les aînés sont plus enclins au statu quo.
Le premier enjeu de la prochaine élection législative est là : quel est le corps électoral qui déterminera son issue ? Les jeunes inquiets ou les vieux satisfaits ? Historiquement, une première phase, ou un premier cycle, de la nation souveraine a démarré lors des élections législatives de 1967 lorsqu’une majorité des électeurs porte sir Seewoosagur Ramgoolam, chef du Parti travailliste, à la tête du pays. Il dotera le pays de quelques institutions compétentes et indépendantes dans un cadre globalement démocratique. Il restera au pouvoir pendant 14 ans !
Mais pour le conserver, contre vents et marées, sir Seewoosagur utilisera toutes les armes et les grosses ficelles du jeu politique, y compris les moins honorables. Il mettra en prison ses adversaires politiques, instaurera la censure de la presse, combattra les syndicalistes. Il avait affaire, il est vrai, à des opposants irréductibles et intraitables. De plus, Ramgoolam et son ministre des Finances, sir Veerasamy Ringadoo, conduisent une politique économique qui mène le pays à la faillite.
Ce cycle instable et chaotique se termine en 1982 quand un Ramgoolam usé et décrédibilisé se fait battre dans son propre fief électoral par des néophytes, pratiquement tous sans aucune expérience parlementaire ou gouvernementale. C’est le grand chambardement. Toute la vieille garde travailliste est balayée ; on ne parlait pas encore de «rupture», mais c’en était une.
Commence alors un nouveau cycle politique porté par l’immense désir de changement d’une grande majorité de la population. Pendant un court moment, un vent d’espérance et d’optimisme souffle sur le pays. Ce nouveau cycle est animé par des jeunes radicaux, idéalistes mais inexpérimentés qui propulsent à la direction du pays l’avocat Anerood Jugnauth, un vieil adversaire du travaillisme ramgoolamien. Ce cycle est celui du renouvellement de la classe politique et du rajeunissement des idées.
Mais Anerood Jugnauth, un politicien de la vieille école, opportuniste et cynique, ne tardera pas à se défaire de ces acolytes inconvenants qui ruent trop souvent dans les brancards. Il inaugure un cycle dans le cycle, qui l’installe dans l’exercice d’un pouvoir personnel autoritaire et musclé, en s’appuyant sur des leaders vaincus qu’il repêche et réhabilite sans vergogne. Ce nouveau cycle, qui commence en 1983, est caractérisé par le leadership ferme, pragmatique et matérialiste de Jugnauth. Cette phase fera un grand bien au pays qui connaît une période faste au plan économique.
Mais c’est aussi le début du règne de l’argent facile, de l’argent sale, de la course aux privilèges, du dépérissement de l’appareil d’État. Affaibli pendant un temps mais revigoré en 1990 grâce au soutien de ses anciens camarades, Jugnauth conserve le pouvoir jusqu’en 1995. Il sera battu par une coalition des anciens réunissant ses amis d’hier et ses adversaires de toujours.
Commence alors un troisième cycle d’ébats politiques où les partenaires d’un moment changent de lits avec une indécence qui a révolté durablement une grande partie des électeurs, qui ont vu revenir, au premier plan, les mêmes politiciens honnis, grâce, en partie, aux sempiternelles contorsions de Bérenger et son irrespect de la prééminence de son Premier ministre.
À la fin, Anerood Jugnauth lui-même sera poussé vers la sortie par son propre fils, Pravind, aussi rusé et éhonté que le père, et qui prolonge, depuis 2017, ce troisième cycle.
Aujourd’hui, bien des signaux indiquent que Pravind Jugnauth pourrait, à son tour, subir les foudres d’un électorat lassé par les turpitudes sans fin de ses gouvernements, même s’il peut se prévaloir d’un bilan qui n’est pas insignifiant.
Nous en sommes là. Dans une incertitude politique affligeante, comme si le pays désorienté, à bout d’espoir, cherche désespérément encore le guide, l’homme ou la femme, qui incarnera ce nouveau cycle s’il devait s’instaurer.
C’est le deuxième enjeu du prochain scrutin : qui dans le personnel politique actuel ou chez les nouveaux aspirants, ou encore ailleurs dans la société civile de plus en plus engagée, est susceptible d’émerger comme le symbole du renouveau, d’une vision nouvelle, et n’ayons pas peur des mots : l’incarnation d’un nouveau rêve.
Cette nouvelle phase devra être celle d’une profonde Refondation. Tout est à reconstruire. Et tout devra s’articuler autour d’un leadership vertueux, exemplaire, humble. Et d’un peuple déterminé à retrouver ses valeurs perdues.
Ce Premier ministre de la Refondation, homme ou femme, sera l’antithèse de l’autocratie. Il sera consensuel et rassembleur ;
Il instaurera une démocratie participative à la place d’un pouvoir confiscatoire ;
Il établira un système méritocratique pour en finir avec le clanisme et le clientélisme ;
Il respectera l’indépendance des institutions plutôt que de les politiser ;
Il promouvra un mauricianisme intégral au lieu de balkaniser la nation ;
Il sera un promoteur de justice sociale et non le croquemort des plus pauvres ;
Il sera l’initiateur d’une réforme agraire plutôt qu’un bétonneur effréné ;
Il sera chantre de l’autosuffisance alimentaire plutôt qu’importateur officiel ;
Il sera producteur d’énergies propres et non pas salisseur patenté ;
Il aura à cœur de mener une politique économique productiviste qui augmente la richesse nationale mais qui offre des chances égales à tous ;
Il encouragera le travail, la discipline plutôt que l’assistanat et le consumérisme ;
Il motivera les jeunes à servir leur pays plutôt que de les pousser à le fuir. Imaginons ce pays nouveau. Alors qui ?
Le nouveau cycle est en quête d’un leader.
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