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Financement politique : c’est à qui paie, gagne, ou perd
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Financement politique : c’est à qui paie, gagne, ou perd
À en croire Pravind Jugnauth, le gouvernement tiendra prochainement «des consultations sur les réformes électorales, y compris le financement politique». Le Premier ministre n’a pas jugé utile de préciser si celles-ci interviendront avant les prochaines législatives, dont lui seul contrôle la date.
Avec sa question complaisante, la députée de la majorité, Subashnee Luchmun-Roy, ne tenait pas tant à savoir si le chef du gouvernement comptait venir, une nouvelle fois, de l’avant avec un autre projet de loi sur le financement politique, mais voulait surtout offrir une plateforme à Pravind Jugnauth d’acculer, dans sa réponse, Navin Ramgoolam sur l’affaire des coffres-forts, et Paul Bérenger par rapport au chèque de Rs 10 millions gracieusement offert par le groupe BAI.
En juillet 2019, quatre mois avant les dernières législatives, Pravind Jugnauth avait présenté, en première lecture uniquement, le Political Financing Bill. Mais la dissolution du Parlement, trois mois plus tard, a rangé le projet aux oubliettes. Et les législatives de novembre 2019 se sont tenues comme à l’accoutumée, c’est-à-dire dans l’obscurité totale et sans aucune règle en matière de financement des partis. Certes, il existe quelques notes çà et là, des reçus et des chiffres, comme ceux figurant dans les Kistnen Papers, mais sans plus. Pas de quoi réveiller l’Electoral Supervisory Commission, qui se contente de l’affidavit juré par les candidats, qui commencent leur carrière en politique en mentant pratiquement tous de manière éhontée.
Aujourd’hui, nous sommes pratiquement à la fin de la deuxième législature consécutive du MSM ; croyez-vous que de nouvelles règles liées au financement des partis politiques seront adoptées avant les prochaines élections ? Ou c’était juste de la poudre de perlimpinpin jetée à la ronde au Parlement ?
Pravind Jugnauth a l’appareil d’État en main. Il a fait saisir les coffres-forts de son rival et bloquer ses Rs 220 millions qui étaient, en majeure partie, des dons politiques. De son côté, de manière totalement indépendante, la Financial Intelligence Unit a bloqué les millions de Sherry Singh, qui a lancé, avec Bruneau Laurette, One Moris pour contrecarrer le MSM sur le terrain, dans certaines circonscriptions précises. Mais, il y a une autre épée de Damoclès qui pourrait tomber avant le prochain scrutin : l’appel de Suren Dayal devant le Privy Council, où la question de financement politique sera soulevée, entre autres arguments...
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À Maurice, les dons anonymes ne sont pas interdits. Il n’y a pas de règles qui mettent les acteurs politiques et les bailleurs de fonds face à leurs responsabilités. Il n’y pas lieu de publier des données et des documents. Ils ne s’exposent à aucune amende. Il n’y a pas de contrôle auprès des partis, et dans les rapports financiers des grands groupes, on ne dit pas tout.
En France, les législatives représentent le principal nerf de la guerre et de la survivance financière des partis. Le financement se fait par les aides publiques de l’État. Celui-ci repose, prioritairement, sur les résultats obtenus au premier tour. En 2022, 66 155 millions d’euros d’aides publiques ont été attribués aux partis politiques par l’État. Le premier bénéficiaire en a été La République en marche (LRM), qui a perçu près de 21 millions d’euros.
Généralement, en Afrique, il doit bien exister quelques lois sur le financement des partis politiques, mais elles n’ont presque jamais été mises en oeuvre. Ce qui explique du reste pourquoi le gros des partis a besoin de financements «occultes». Autre phénomène observé : avant une échéance électorale, pas mal d’acteurs politiques choisissent de quitter l’opposition pour rallier le gouvernement afin de pouvoir profiter de l’argent public qui est détourné à des fins électorales. D’autres encore nouent des alliances avec les partis politiques qui ont de gros moyens, souvent mis à disposition des politiciens par des puissances étrangères, comme la Chine, la France ou les États-Unis.
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Sous le régime Ramgoolam, il y avait une crainte et une gêne généralisées pour parler «on record» de la montée en puissance et de la chute non moins spectaculaire de l’empire BAI. Que ce soit au niveau de la classe politique ou celui des régulateurs. Mais, en «off», tout le monde y allait de son couplet, de ses certitudes, de ses accusations. L’affaire, qui revient sur le tapis à chaque fois que l’on parle de financement politique, n’a pas une vérité ; elle en comporte plusieurs.
La plus criante : celle entourant l’incurie des dirigeants. Les (ir)responsables politiques, qui ont vu, épluché, à un moment ou à un autre de leur carrière, les épais dossiers expansionnistes du groupe BAI, ont leur part de responsabilité. Depuis toutes ces années qu’on parle de transparence, surtout depuis 2001, dans le sillage du scandale des caisses noires d’Air Mauritius, c’était du bla-bla-bla. Du reste, malgré le changement de gouvernement, personne n’a pu mettre en place un mode de financement des partis politiques, tant public que transparent.
Le clientélisme politique découlant d’une affaire comme celle de la BAI entraîne, à son tour, une gestion médiocre ou une perversion du rôle des organismes de régulation et des institutions publiques, dont la FIU, l’ICAC, la FSC.
Et quand le privé, l’État et les régulateurs se soutiennent dans leurs intérêts – par tous les moyens –, ils finissent par former une «mafia», pour reprendre l’expression du Canadien Bert Cunningham, avant qu’ils ne plient bagage. Aujourd’hui, il n’est plus suffisant de dénoncer la gangrène qui nous ronge. Mais dommage qu’on n’ait pas su utiliser l’affaire BAI pour moraliser la vie publique en réglant, enfin, le problème de financement politique, ses corollaires et autres ramifications tentaculaires.
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