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Je réponds présente !

1 mai 2023, 09:51

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Touria Prayag posant des questions au Premier ministre sur l’accord anecdotique entre l’Inde et Maurice lors du lancement du Metro Express, le 27 juillet 2017.

Le 60e anniversaire de l’express célébré cette semaine était un grand moment et hommage a été rendu aux grands qui ont contribué à cette belle aventure. J’ai lu avec délectation les articles tissés par mes collègues dans un beau livre souvenir – Le Récit d’un Journal (et d’un pays), que je vous recommande à tous – et j’ai pris un grand plaisir à croquer les souvenirs minutieusement détaillés.

Je n’ai pas été invitée à offrir ma perspective pour épaissir ce livre. Sans rancune. Tout le monde ne peut pas avoir voix au chapitre. Tout le monde n’est pas assez important.

Ce billet d’opinion est ma façon d’essayer d’empêcher que tout un chapitre de Weekly ne devienne une footnote dans l’histoire de La Sentinelle. C’est aussi un acte de reconnaissance envers une compagnie qui m’a offert un quart de sa vie. Dans les 60 ans d’existence de La Sentinelle, ma collaboration a duré plus de 15 ans. Un quart de la vie de la compagnie. Presque la moitié de ma vie professionnelle. Le plus long poste que j’aie jamais occupé. Le plus grand défi que j’aie jamais relevé.

Ma transition du milieu universitaire, où j’exerçais comme Dean of the Faculty of Humanities, au journalisme est survenue d’une manière totalement inattendue. Aujourd’hui, on appelle cela le headhunting. À mon époque, on l’appelait dilemme, casse-tête, saut vers l’inconnu… Un épisode que Jean Claude de l’Estrac (JCDL) décrit si bien dans le livre.

C’est ainsi que commença une aventure de plus d’une décennie. Et c’est ainsi que fut complété le rêve de JCDL : offrir à chaque lecteur un produit qui répond à ses besoins, ses désirs, ses attentes.

Le dernier bébé qu’on avait baptisé l’express Weekly et plus tard Weekly magazine naquit donc dans ces conditions dans une entreprise en pleine effervescence, offrant des publications tellement différentes les unes des autres que chacun y trouvait son compte. Des publications que vous avez immédiatement plébiscitées. C’est ainsi que j’ai découvert le monde du journalisme, de la bravoure, du sacrifice, du travail assidu mais aussi d’ego surdimensionnés, d’arrogance, de divas… Il fallait tout gérer.

Weekly était conçu comme un viewspaper, un concept avant-gardiste que La Sentinelle voulait introduire bien avant la compétition rude que les réseaux sociaux livrent à la presse aujourd’hui. Les nouvelles – hard news – ne se vendaient plus. C’est l’analyse, les points de vue, la valeur ajoutée dont le lecteur avait soif. Et le magazine devenait aussi le visage anglophone de La Sentinelle de par sa langue, sa culture, son humour anglais et ses analyses livrées par des journalistes de calibre, en grande partie expatriés, offrant des perspectives différentes.

La ligne éditoriale de Weekly était sans concession et nous avons joui d’une liberté d’expression inégalable qui nous a permis de nous épanouir en tant que publication. JCDL parle dans le livre de ma «plume acerbe». Pas faux. Mais le plus important pour nous, ce n’était pas seulement de critiquer les travers des gouvernants. C’était aussi et surtout de le faire dans un langage digne, beau, élégant, éduqué. Un langage qui laisse des expressions gravées dans la mémoire des lecteurs. Le mot juste ! La question pour nous n’était pas seulement d’informer mais de donner du plaisir au lecteur, de partager des échanges et des idées, d’offrir de nouvelles pistes de réflexion, de choquer parfois car on était souvent à contre-courant. Tant qu’on considérait une cause juste, on n’avait peur de rien, même pas de l’opinion publique. Je me souviens que quand j’ai appelé à la prudence concernant la British American Investment en avril 2015, j’avais un pays entier contre moi. Quand j’ai réclamé le droit à la présomption d’innocence à Nad Sivaramen, quelques-uns de mes propres collègues m’ont boudée, des conversations s’arrêtaient quand j’entrais au bureau… J’ai appris très tôt dans ma vie professionnelle qu’il ne faut jamais avoir peur de ceux qu’on critique; encore moins s’attendre à une reconnaissance quelconque de ceux qu’on défend. On fait ce qu’on pense juste. C’est tout. Le travail de journaliste n’est pas pour les âmes sensibles.

«Le plus important pour nous, ce n’était pas seulement de critiquer les travers des gouvernants. C’était aussi et surtout de le faire dans un langage digne, beau, élégant, éduqué.»

Dans la carrière professionnelle – comme dans la vie – de chacun d’entre nous, il y a des moments forts et aussi des moments de tristesse, de déception, de dégoût parfois quand on pénètre les tréfonds de la nature humaine. Ce serait un mensonge que de dire que nous n’avons eu que des moments de gloire. Cela dit, la pudeur dicte que les célébrations ne soient pas l’occasion d’étayer ce qui est négatif. Pour moi, le moment fort était quand toute l’opposition unie – moins Alan Ganoo – à l’initiative de Paul Bérenger, avait boycotté les travaux parlementaires quand l’ancienne présidente de l’Assemblée nationale, Maya Hanoomanjee, m’y avait interdit l’accès. C’était à cause de mon refus de m’excuser pour un éditorial – Catch me if you can – qui ne lui avait pas fait plaisir. Un grand épisode dans le combat contre la dictature et pour la liberté d’expression !

Je tenais à exprimer ceci car je ne serai plus là au prochain anniversaire* de La Sentinelle à qui je souhaite énormément de succès. C’est peut-être un peu présomptueux de le dire mais, franchement, je ne sais pas ce que serait le pays sans ma boîte et mes collègues! Combien de scandales n’auraient jamais été déterrés ? Combien de corrompus seraient encore en train de pourrir notre pays? Nous n’avons pas éradiqué le mal, mais nous avons fait ce que nous pouvions accomplir.

Le souvenir que j’emmènerai avec moi est celui de la liberté d’expression. Certains lecteurs ne comprenaient pas pourquoi il y avait une telle divergence d’opinions dans les publications de La Sentinelle. Nous, nous connaissons la réponse. La liberté d’expression dont nous jouissons est réelle. C’est un beau souvenir.

L’autre beau souvenir, c’est ma relation avec vous, chers lecteurs, le cheminement que nous avons fait ensemble, les amitiés liées pendant ce parcours. Nous avions un rendez-vous sacré tous les jeudis. Je l’ai raté une seule fois en 15 ans! Et nous continuerons à cheminer encore plus étroitement ensemble.

Bon anniversaire à la Grande Dame qui a rendu ce beau voyage possible !

*Le 70ème anniversaire

Touria Prayag’s second book: #BLD: When Mauritius Lost its Bedside Manners is available at Librairie Le Cygne and all the Bookcourt outlets.