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Salaire minimum: les syndicats en campagne pour une hausse

3 mai 2023, 13:06

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Salaire minimum: les syndicats en campagne pour une hausse

Visiblement, la grande foule n’y était pas pour les premières célébrations du 1er-Mai post-Covid. Entre l’Alliance Morisien (gouvernementale) en meeting politique à Vacoas et l’opposition parlementaire absente de ces manifestations, il y a eu toutefois une présence syndicale, des dirigeants réunis ici et là pour rappeler leur présence aux côtés des travailleurs et éviter que cette fête ne soit confisquée par les forces politiques. Les promesses électorales et autres revendications syndicales qui ne sont pas passées inaperçues. On relèvera des nouvelles prestations sociales pour les pensions de vieillesse mais aussi des demandes syndicales pour réajuster le salaire minimum face à la cherté de la vie. On parle de Rs 15 000 mensuellement à monter. 

Après plus de quatre ans, la problématique du salaire minimum est ainsi de nouveau projetée dans l’actualité. Pour le moment, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, ne s’est pas prononcé sur le sujet, laissant planer le suspense jusqu’à son quatrième discours du Budget qui sera lu probablement dans la première semaine de juin. Son collègue au Travail, Soodesh Callichurn, est, lui, plus audible et pour le moment ouvert à toutes les négociations à cet effet. Il n’objecte pas a priori, doit-on comprendre, à une éventuelle augmentation du salaire minimum. 

Pour autant, la question est plus complexe et ne suscite pas nécessairement l’adhésion de tous les stakeholders, plus particulièrement les opérateurs économiques, qui sont concernés en premier lieu. Le principe même d’un salaire minimum reste une avancée incontestée pour les travailleurs et présuppose que les entreprises ne peuvent pas rémunérer un employé en dessous d’un montant défini. Il est aujourd’hui à Rs 12 075, incluant la contribution de l’employeur et la compensation de Rs 1 000 «across the board» accordée par le ministère des Finances en décembre 2022 sous forme de compensation salariale. 

Si on s’en tient à la population active qui, en décembre 2022, s’élevait à 570 300, on trouve qu’à la même période que sur 531 500 salariés, au moins 450 000 perçoivent un salaire bien au-dessus du minimum mais en dessous du salaire médian qui tourne autour de Rs 18 000 à Maurice. Venir cibler les employés touchant le salaire minimum en proposant une meilleure protection sociale face aux pressions inflationnistes n’est pas une source de contestation pour le secteur privé, même si certaines institutions privées maintiennent que certains secteurs seront affectés. «Il est certain que des PME, des entreprises de construction, usines textiles, établissements touristiques, sociétés agricoles ou encore le commerce et le BPO seront directement affectés. Car l’impact d’une hausse salariale exercera de fortes pressions sur les barèmes salariaux déjà appliqués et entraînera mécaniquement un réajustement naturel des salaires dans ces secteurs», affirment leurs responsables.

Charges sociales 

Si cela coule de source que le privé offre des salaires largement supérieurs aux Rs 12 075, il va de soi que les charges sociales comme la contribution sociale, le Portable Retirement Gratuity Fund (PRGT) et d’autres frais liés vont les alourdir après une éventuelle hausse du salaire minimum. D’ailleurs, l’analyste financier Imrith Ramtohul pousse la réflexion plus loin pour soutenir que la conjoncture économique actuelle due aux effets de la crise pandémique est venue fragiliser financièrement les entreprises, pesant lourd sur leur trésorerie. «Objectivement, il n’y a pas débat sur la pertinence d’une révision du salaire minimum mais est-ce que les entreprises ont toutes les moyens financiers de souscrire à une telle demande si le gouvernement légifère en ce sens ?» Il s’appuie sur le fait qu’il y a forcément des secteurs qui ont pu sortir la tête hors de l’eau mais aujourd’hui, avec un choc inflationniste à l’échelle mondiale, qui a entraîné une hausse vertigineuse des cours des matières premières et des carburants, couplés avec la dépréciation de la roupie face au dollar, les coûts de production ont visiblement pris l’ascenseur. 

Faut-il souligner que les statistiques compilées par Statistics Mauritius sur les revenus moyens proposés dans les principaux secteurs économiques nous éclairent sur la nouvelle configuration salariale sur le marché et indiquent que les services financiers se classent en tête du peloton avec plus de Rs 55 000 mensuellement, suivis des activités plus techniques dans l’énergie électrique, le gaz et la climatisation (Rs 54 000) alors que les moins rémunérés se trouvent être dans les services de support et administratifs à Rs 22 000. 

Par ailleurs, la logique économique veut qu’une hausse du salaire minimum peut contribuer à faire grimper l’inflation. Cela, vu que les employeurs, confrontés aux nouveaux coûts de production, se trouveront dans l’obligation de les passer aux consommateurs en révisant à la hausse les prix de leurs produits et services. Résultat, les ménages entrent carrément dans un cercle vicieux où ce que les travailleurs obtiennent d’une main, ils le rendent de l’autre. Sans compter que les employeurs, sous la pression de nouvelles charges, pourraient être tentés de réduire les avantages sociaux comme l’assurance médicale, les passage benefits ou encore leur contribution à un plan de pension privé. 

Or, les spécialistes estiment que rehausser davantage le salaire minimum n’est pas en soi suffisant mais il existe un train de mesures que le ministre des Finances pourrait proposer dans le cadre de son exercice budgétaire, en juin prochain. Pourquoi pas des bons d’achat destinés aux plus vulnérables de la société. «C’est une approche ciblée, touchant les travailleurs se situant dans une grille salariale spécifique, permettant à ces derniers de s’approvisionner en produits essentiels. Dans le même registre, on peut distribuer des paniers de vivres», remarque de son côté Azad Jeetun, économiste et ex-directeur de la Mauritius Employers Federation. Tout en sachant, dit-il, que dégager une politique ciblée de protection sociale implique des coûts administratifs qui peuvent faire réfléchir les décideurs politiques à deux fois avant de l’exécuter. 

Reste que le privé est catégorique. Une révision du salaire minimum pour rattraper les pertes du pouvoir d’achat ne peut pas se faire seulement par les entreprises. Les opérateurs souhaitent partager les coûts de cette opération avec l’État, comme ce fut le cas après le Covid où il avait apporté sa contribution financière aux entreprises sous différents plans salariaux. «Dans le monde, le salaire minimum est dans une fourchette de 40 % à 70 % du salaire médian. À Maurice, l’État a souhaité qu’elle soit entre 60 % et 65 %, donnant un meilleur confort financier à cette catégorie de travailleurs. Donc, au départ même, le quantum du salaire minimum a été plus élevé. Aujourd’hui, si le contexte économique impose une révision il faut que tous les partenaires sociaux au National Wage Consultative Committee soient plus flexibles», précise-t-on à Business Mauritius. L’organisme juge que ce comité est le seul habilité à décider de cette révision et que les opinions émises ici et là à ce sujet ne peuvent être prises en considération dans cet exercice. 

Sujet de controverses, le sujet sera appelé prochainement à gagner du terrain, tout en étant fortement médiatisé à l’approche du Budget national, voire de l’échéance électorale. Il s’agit pour chaque partenaire d’avancer son pion et de protéger sa paroisse.