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L’entre-deux de la politique
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L’entre-deux de la politique
Sommes-nous dans un état intermédiaire entre l’ancien monde politique – incarné par les quatre partis traditionnels qui s’alternent depuis toujours au pouvoir comme dans l’opposition - et un nouveau paysage qui peine à s'affirmer.
Alors que nos aînés, que ce soit dans la presse, le reste de la société civile ou la politique, évoquent, avec une douce nostalgie, le mood et l’énergie du changement sociétal relatifs au mythique mai 1975, avec un focus sur l’éducation comme vecteur pouvant aboutir à un semblant d’égalité des chances, ils sont encore plus nombreux à ressasser la «continuité des enjeux» et la «permanence des masques», comme thèmes centraux du théâtre politique mauricien. En France, Mai 1968 demeure un «événement intermédiaire», selon les chercheurs en sciences politiques : un événement qui «a condensé des tendances antérieures, sans modifier les structures économiques et politiques; d’où sa réduction par certains à une extase culturelle et sociale dont l’influence est pratiquement épuisée.»
En 2023, alors que l’on renvoie, sans état d’âme, les élections municipales, comme jadis le PTr et le PMSD l’avaient fait, le reflet de la grande réforme électorale nous est miroité. Rappelant des divisions antérieures et internes au front commun de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire (avec une section de la société civile, qui est multiforme et aussi insaisissable que l’eau), le changement du mode de scrutin – remis aux calendes grecques depuis des décennies sur l’autel du jeu malsain des alliances et de l’ethno-politics – redevient News.
Rien que cinq ans de cela, soit en 2018, alors que le PMSD poussait pour des élections (législatives, municipales et villageoises) combinées, la réforme électorale, tel un serpent de mer, ressortait sa tête. On parlait de livre blanc, ou d’un projet de loi. On nous distillait des petits bouts par-ci, d’autres par là, des bouts de carotte disséminés par des membres du gouvernement ; un gouvernement qui était acculé par le case logé par Rezistans ek Alternativ devant l’ONU. Le porte-parole du gouvernement sur ce dossier, Nando Bodha, délaissant le Metro Express, évoquait l’élimination du Best Loser System. Mais il n’expliquait pas vraiment par quoi ce système (qui bloque l’épanouissement du mauricianisme) serait remplacé. On entretenait le flou artistique.
Souvenez-vous : le gouvernement décrivait vaguement un nouveau Parlement de 80 députés – les représentants additionnels ne seraient apparemment plus désignés par la commission électorale, mais par les leaders des partis. L’opinion, dans une large mesure, pensait qu’outre d’être un gaspillage des fonds publics, c’était «un pur recul démocratique». Car des propriétaires de parti, déjà omnipotents, voulaient désormais prendre sur eux pour placer leurs préférés sur les bancs de l’Assemblée nationale afin qu’on leur octroie salaire, voiture duty free, per diem, etc. «Imaginez que sir Anerood Jugnauth y place son fils, Paul Bérenger sa fille et son gendre, ou Navin Ramgoolam une de ses cousines, sans que l’électorat ne puisse piper le moindre mot», mettait en avant l’express en éditorial.
Nous sommes aujourd’hui dans ce qu’on pourrait appeler l’entre-deux de l’histoire politique mauricienne. Nous sommes à la fin d’un cycle, qui a été dominé par des dynasties connues du paysage politique local; des dynasties qui sont obligées aujourd’hui de rassembler d’autres forces, des petits ruisseaux qui veulent devenir une grande rivière menant vers une 2e République.
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Rappel historique dans le sillage des 60 ans de journalisme de l’express. En 2023, nous subissons toujours le tant décrié système First Past The Post qui a produit, six fois sur neuf, des résultats électoraux disproportionnés et outranciers : 1982, 1991, 1995, 2000, 2014 et 2019.
Notre histoire démontre surtout que ce sont toujours ceux-là mêmes qui bloquent la réforme qui en sont les victimes par la suite. Si Stonehouse n’était pas venu, à la suite des protestations de SSR, la proportionnelle préconisée par Banwell au départ aurait assuré à l’alliance ramgoolamienne un quart des sièges au Parlement en 1982. La proportionnelle de Banwell aurait aussi empêché le premier 60-0 et maintenu une opposition parlementaire non négligeable. L’expert Banwell avait prévu ce cas de figure, mais les travaillistes se croyaient éternels, un peu comme le pense Pravind Jugnauth aujourd’hui.
Si les partis politiques ne veulent pas, ou ne peuvent pas, réformer le système électoral avant les prochaines élections, (avec son corollaire communaliste, le BLS dépassé, et les centres culturels épars), malgré les pressions des Nations unies, c’est parce qu’ils ne veulent, tout bonnement, pas se tirer une balle dans le pied avant le prochain match électoral. Et ce, afin qu’ils conservent leurs acquis sur l’échiquier et, dans le même souffle, étouffer dans l’œuf de possibles mouvements naissants, en les embarquant sur des vieux rafiots, qui prennent l’eau de toutes parts…
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