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Budget 2023-24: quand le social est appelé à détrôner l’économie
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Budget 2023-24: quand le social est appelé à détrôner l’économie
À 72 heures du grand oral de Renganaden Padayachy, la médiatisation autour de son quatrième budget n’a pas véritablement commencé ; la population reste pour le moment suspendue aux scandales et autres affaires politico-financières qui défraient l’actualité avec notamment la perquisition du domicile de Sherry Singh et son arrestation par la Special Striking Team.
Entre-temps, le ministre et ses techniciens mettent la dernière main au discours du Budget, l’orientation qu’il souhaite y donner cette année sous l’arbitrage du Premier ministre, mais aussi et surtout, le plus important d’ailleurs, les estimations budgétaires des principaux indicateurs macroéconomiques au 30 juin 2023. Soit dans quelle mesure, le ministre aura été juste dans ses chiffres… Pour cela, économistes et spécialistes de la finance le veilleront au grain et sauront lui rappeler s’il y a eu maquillage de certains chiffres, d’autant plus qu’il ne pourra cette année avancer aucun subterfuge pour les justifier.
Ce nouvel exercice budgétaire intervient néanmoins dans un contexte d’agitation populaire sur le front social et démocratique avec notamment le renvoi des élections municipales à 2025 avec le Local Government (Amendement) Bill 2023. Une démarche décriée par la société civile ainsi que par les partis de l’opposition parlementaire et extraparlementaire, ces derniers évoquant une sérieuse atteinte à la démocratie, soutenant dans la foulée que la décision gouvernementale n’est pas étrangère aux craintes d’une cuisante défaite à ces élections, si elles devaient avoir lieu.
Pour le moment, on ne sait pas si ce sera le dernier budget de la présente législature mais d’ores et déjà, le discours de vendredi pourrait servir de baromètre pour indiquer l’intention du gouvernement de rappeler le pays aux urnes ou pas, à plus brève échéance. Du coup, il n’est pas exclu que Renganaden Padayachy soit tenté de présenter un budget électoralement dosé, soit carrément populiste où chaque segment de la population se retrouvera.
Si tel est le cas, on peut conclure que des manoeuvres électorales sont à l’oeuvre même si on s’en tient aux propos mille fois répétés du Premier ministre que son gouvernement ira jusqu’à la fin de son mandat. En même temps, d’un régime à l’autre, qu’on le veuille ou non, l’exercice budgétaire a une fonction politique à laquelle tous les gouvernants ont eu recours dans le passé.
Certes, la question classique qui revient comme un leitmotiv chaque année pour le Budget Day est la marge de manoeuvre du ministre pour équilibrer le Budget national. Est-ce qu’il fera croire qu’il marche sur la corde raide avec une marge budgétaire inexistante en brandissant des menaces pour taxer les plus riches pour finalement annoncer un No Tax Budget ? Dans le passé, l’ex-ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo, excellait à ce jeu.
Aujourd’hui, les économistes ont des avis partagés. Si Pierre Dinan estime que la marge est sans doute minime, conséquence d’une économie ouverte, exposée à la crise inflationniste, Eric Ng a une tout autre lecture, convaincu que Renganaden Padayachy a encore une marge de manoeuvre. Il pense au reliquat de Rs 16 milliards des Rs 55 milliards que la Banque de Maurice a offert gratuitement au Trésor et qui pourraient être dépensées sous forme de «cadeaux» à la population aux prochaines élections.
Mais aussi des recettes de la TVA, en hausse suivant une inflation à deux chiffres. On relèvera à cet effet, comme le rappelle justement Rajeev Hasnah, que les recettes fiscales pour l’année financière 2021-22 ont enregistré un record de Rs 112,6 milliards, comparé à Rs 98,4 milliards pour l’année financière 2018-19 et Rs 93,7 milliards pour l’année financière 2019-20. Il faudra s’attendre à un nouveau chiffre au 30 juin 2023 quand le ministre des Finances en dévoilera le montant.
Tout cela conduit à une évidence : que les caisses de l’État pourraient soutenir certaines charges financières et qu’en conséquence, il faut s’attendre à certaines annonces à caractère éminemment social, mais hautement symbolique comme la baisse des prix des carburants pour contenir la colère des automobilistes. Il va de soi que le ministre poursuivra sa politique de soutien aux ménages économiques faibles en proposant un ciblage des prestations sociales, comme initié l’année dernière.
Mais attention, le ciblage ne peut être étendu à toutes les couches sociales, insiste à juste titre Pierre Dinan. Car la politique de subvention sociale axée sur certaines denrées alimentaires comme le riz et la farine ou encore sur le gaz ménager, et qui a plus d’une fois été dénoncée par les agences internationales, n’aide pas a priori les familles économiques vulnérables. Elle profite, au contraire, aux familles financièrement aisées.
Si on s’accorde à dire que le social a longtemps détrôné l’économie, il ne faut pas pour autant occulter le fait que les opérateurs attendent néanmoins le ministre au tournant sur certains dossiers, particulièrement celui de la problématique de la main-d’oeuvre, le manque de bras qui peut affecter sérieusement l’appareil productif de certains secteurs économiques, comme le tourisme, la construction ou encore la manufacture.
Le recours à la main-d’oeuvre étrangère est urgemment réclamé pour éviter que certaines activités ne souffrent d’un ralentissement de croissance. En même temps, le ministre des Finances doit envoyer des signaux forts pour stopper l’exode des jeunes cerveaux de la finance qui ont quitté en grand nombre la juridiction mauricienne pour d’autres centres financiers en Grande Bretagne, au Luxembourg ou au Canada. Sans doute, il y a l’élément salaire, mais aussi celui d’un malaise social profond face à certaines dérives sociétales.
Tout compte fait, le ministre des Finances peut bien être sensible aux cris populaires et lâcher du lest pour un budget «doux». Mais il doit savoir qu’en face des institutions de notation et financière nous surveillent comme le lait sur le feu et que tout dérapage dans la gestion économique pourrait être sévèrement critiqué. À moins qu’il ne souhaite se comparer à ce roi français, Louis XV, comme le rappelle Pierre Dinan, qui disait : «Après moi, le déluge !».
Renganaden Padayachy veut sans doute marquer son passage au Trésor public et s’associer à certaines mesures, voire une grande réforme. On saura bien vite s’il aura réussi à imprimer son style, voire son empreinte.
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